Trente ans après sa mort en février 1995, l’œuvre de Rachid Mimouni continue d’interpeller par son univers fantastique, son humour et l’excentricité de ses personnages. Son regard lucide et sa capacité à prendre du recul confèrent à ses écrits une portée universelle et une acuité saisissante.
À travers ses romans, l’écrivain algérien a disséqué l’Histoire, de la période coloniale de la vie dans les maquis, en passant par l’avènement de la République algérienne et la décennie noire. Avec une plume incisive, il a livré une vision brute et sans fard des bouleversements sociopolitiques de son pays.
L’Algérie, trame centrale de son œuvre
Rachid Mimouni avait forgé un style unique, où l’Algérie était à la fois le décor et la trame centrale de son œuvre. Il dépeignait des personnages marginaux, souvent solitaires, et inscrivait son engagement politique et social dans la structure même de ses récits. Son écriture était avant tout un acte de participation au destin de l’Algérie.
Né le 20 novembre 1945 à Boudouaou, à 30 kilomètres d’Alger, dans une famille de petits paysans, Mimouni obtient une licence en chimie avant de devenir enseignant dans une école de commerce de la capitale.
Son premier roman, Le printemps n’en sera que plus beau (1978), publié en Algérie, explore, avec une construction élaborée, une histoire d’amour et de mort à la veille du déclenchement de la guerre d’indépendance. Une paix à vivre (1983) retrace, dans un ton encore didactique, l’Algérie euphorique des lendemains de l’indépendance.
Avec Le Fleuve détourné (1982) et Tombéza (1984), publiés directement à Paris, son écriture devient plus puissante et virulente. La satire y est acérée, dénonçant les nouveaux maîtres de l’Algérie, accusés de confisquer l’indépendance à leur profit. Le Fleuve détourné raconte le retour d’un ancien combattant de la guerre d’indépendance que l’on croyait mort. Son regard critique sur la société post-coloniale dérange, révélant une Algérie gangrenée par la misère, le mensonge, la corruption et la démagogie.
Avec Tombéza, Mimouni plonge dans l’horreur absolue. Son personnage principal, né du viol de sa mère et affligé d’un physique monstrueux, agonise dans un hôpital, frappé d’aphasie. À travers ses souvenirs confus, le lecteur découvre une satire féroce du pouvoir et de la corruption en Algérie. Ces deux romans suscitent à la fois l’agacement d’une partie du lectorat algérien, blessé par ces critiques sans concession, et l’incrédulité de certains Européens, attachés à une vision idéalisée du modèle révolutionnaire algérien. Avec le recul, ces œuvres apparaissent comme les sommets de sa production littéraire, par leur lucidité et leur ton implacable.
L’Honneur de la tribu (1989), bien que moins incisif, rencontre un large succès, renforcé par son adaptation au cinéma. Il retrace l’histoire d’un village d’origine andalouse, traversant la colonisation française et les transformations imposées par un potentat local, figure du pouvoir autoritaire post-indépendance.
La critique de la bureaucratie et de l’obscurantisme se poursuit dans La Ceinture de l’ogresse (1990), tandis que Une peine à vivre (1991) s’intéresse aux pensées d’un dictateur déchu face à son exécution.
Rachid Mimouni laisse derrière lui une œuvre marquée par l’engagement et une critique impitoyable des dérives de la société algérienne. Trente ans après sa disparition, ses écrits restent d’une actualité saisissante, témoignant d’une vision d’une rare clairvoyance sur l’histoire et le destin de son pays.
Par : Aly D