L’écrivain Yasmina Khadra, qu’on ne présente plus, était à Annaba hier pour la vente-dédicace de son petit dernier, le roman « Cœur d’amande », au niveau de la librairie de la Révolution.
De tout temps à la croisée des chemins des écrivains et de leur lectorat d’Annaba, la librairie de la Révolution a donc accueilli une foule sans fin durant tout l’après-midi d’hier.
Une foule attendue, puisque 10 ans séparent cette vente-dédicace du dernier passage de l’auteur à Annaba en 2014. Un passage qui avait d’ailleurs été un succès au sein du même établissement.
Le Provincial s’est naturellement rapproché de l’auteur, hier, pour en savoir plus sur sa dernière œuvre qu’il affectionne tant.
Ainsi, après avoir fait le tour du monde avec l’écrivain à travers ses précédents livres allant de Cuba à l’Afghanistan en passant par l’Irak, Yasmina Khadra, dans ce dernier roman, nous prend par la main pour nous emmener une autre fois en France et c’est à Montmartre que nous posons nos valises cette fois, pour aller à la rencontre de Nestor, son personnage principal.
Dans un quartier très populaire, à des années-lumière du Montmartre « bobo chic » véhiculé en ce moment, notamment par la série Netflix à succès « Emily in Paris », devenu ambassadrice de la capitale française, il est impossible de ne pas se projeter dans ce même Montmartre chanté et décrit avec précision par Charles Aznavour dans « La bohème ».
Surnommé Cœur d’amande, le personnage principal de ce roman, qui souffre d’un handicap physique, mène donc une vie de bohème dans ce quartier « ghetto » qui représente quelque peu les limites de son monde, un monde où l’on vit en communauté et dans lequel on apprend à jongler avec les affres de la vie sans courber l’échine en faisant preuve de résilience.
Dans ce roman, que le lectorat français de l’auteur a voulu en France, Yasmina Khadra a franchi toutes les frontières instaurées par les clichés et les idées reçues pour laisser place à un récit dans ce Montmartre communautaire, racontant le quotidien de n’importe quel citoyen du monde.
Il laisse rapidement transparaître qu’au-delà des frontières géographiques et des limites idéologiques, l’homme, ses besoins et ses blessures sont les mêmes.
À ce sujet, il nous confie : « Pour moi, il n’y a pas de frontières une fois que l’on se penche sur le facteur humain. »
Au fil des pages se dessine donc le quotidien de Nestor, entre le cocon de bienveillance que lui prodigue sa grand-mère et les atrocités de la vie qu’il subit de ses parents et sa vie avec la communauté de ce quartier où les lendemains ne ressemblent jamais aux veilles.
Le portrait de Nestor, ses émotions, ses discussions intérieures sont tracés avec une telle précision que l’on en vient à se demander s’il ne s’agit pas de sentiments enfouis que Yasmina Khadra aurait déjà expérimentés. À ce sujet, il nous dira : « Je suis un hyper-sensible, je ne peux pas passer à côté d’une peine sans l’emporter avec moi, je ne peux pas assister à un drame sans en souffrir, je n’aime pas la violence même si j’ai évolué dans une caserne et c’est pour cela qu’il y a tant de précisions dans les portraits que je dresse. »
L’auteur nous avoue d’ailleurs que dans chacun de ses livres, et derrière une grande part d’imagination, se cachent toujours des débris de sa vie et de celles de ses proches.
Plus que tout, la dualité entre l’amour et la souffrance retentit avec force dès les premières pages de ce livre où Nestor, fort de son mal-être, retrouve un semblant d’apaisement chez sa grand-mère avant de se heurter à la dureté de la vie dès qu’il franchit le seuil de sa porte. Ce même Nestor, qui souffre du rejet parental, est tantôt épaulé par la communauté de Montmartre qu’il affectionne tant, tantôt malmené et lassé par ce quartier et ses habitants qui « l’enquiquinent ».
À ce sujet, Yasmina Khadra nous déclare en esquissant un sourire : « Citez-moi un seul poème d’amour qui ne parle pas de souffrance. L’amour n’est pas seulement un enchantement, c’est aussi une épreuve. Cette dualité nous renvoie à la valeur et à la fragilité de toute chose, un amour peut s’éteindre, partir, et il est intimement lié à la souffrance et c’est là que réside toute la beauté de la chose. »
En parlant d’amour, lors de notre rencontre d’hier, nous avons eu le privilège de rencontrer son épouse, aka : la véritable Yasmina Khadra derrière l’écrivain.
Discrète et réservée, elle n’est cependant jamais loin de l’homme qui partage sa vie depuis plusieurs décennies maintenant et demeure sa plus fidèle admiratrice, mais toujours loin des feux des projecteurs !
Elle s’improvise volontiers « community manager » en récoltant des photos et vidéos de ses interventions avec les journalistes et non sans un regard de fierté et d’émotion, puis n’hésite pas à changer de casquette pour devenir un peu son « agent ». Elle connaît tous ses plannings par cœur et, en bonne épouse, n’hésite pas à s’inquiéter de sa santé et à le rappeler à l’ordre lorsque le rythme de travail vient à s’intensifier. Durant la vente-dédicace, elle reste tout aussi présente en ne se mettant jamais très loin de l’autre « Yasmina Khadra ». Tout sourire, Yasmina Khadra a cependant la larme facile lorsque son mari vit des moments de connexion avec certains de ces lecteurs. Fusionnelle, elle l’accompagne en restant à l’écart dans chacune de ses émotions…
Celui qui ne compte plus les ventes-dédicaces derrière lui nous a cependant avoué que la ferveur reste la même à la veille d’une vente-dédicace. Peu importe le pays, l’excitation est la même. Et puis, comme il le dit si bien : « Que serait un livre sans ses lecteurs ? Rien d’autre qu’une lettre morte. »
Fidèle à ses racines, Mohamed Moulessehoul reste connecté à ses origines. « Depuis que mes enfants volent de leurs propres ailes, je me suis installé en Algérie, je passe en moyenne 9 mois de l’année en Algérie et voyage pour mon travail (…) actuellement, la France est surtout mon lieu de travail, principalement en raison des facilitations logistiques qui me sont offertes pour mener à bien mon métier. » Très régulier et plutôt calme dans son intonation, l’auteur monte crescendo lorsqu’on aborde la question de l’avenir de la jeunesse algérienne.
« Je ne suis pas démagogue, mais je me permets de dire : s’il y a des gens qui sont morts pour ce pays, alors vous pouvez souffrir pour le garder. Ce pays vous appartient ; il est votre territoire, ne l’abandonnez pas (…) peut-être qu’on vous a sous-estimés, que l’on n’a pas assez cru en vous, mais vous n’avez que faire de ce que l’on pense de vous. Croyez en vous et ce pays deviendra un bastion méditerranéen. » L’écrivain nous a, par la suite, confié qu’il était particulièrement fier de voir sa fille rentrer en Algérie pour s’y installer définitivement.
Au terme de cette journée où tous les yeux étaient rivés sur la venue de Yasmina Khadra à Annaba, il ressort principalement que les citoyens d’Annaba sont en manque de manifestations culturelles.
Hier, l’idée que les Annabis avaient abandonné les librairies semblait avoir été véhiculée à tort. Il convient de se demander si ce lectorat algérien n’était pas juste en manque de simplicité et d’authenticité, mais surtout de proximité avec les parties prenantes du monde culturel.
Par : Lilia Mechakra