À quarante kilomètres à l’ouest de Béchar, au bord de la vallée de la Saoura, s’élève une cité millénaire que les circuits touristiques semblent avoir effacée de leurs cartes.
Kenadsa, jadis centre spirituel et foyer culturel du Sud-Ouest, ne figure dans aucun catalogue d’agences, ni dans les brochures vantant les charmes du Sahara. Pourtant, elle détient l’une des plus fabuleuses histoires du Sahara. Adossée à ses reliefs d’ocre et bordée de palmeraies, la cité garde la mémoire d’un passé où spiritualité, savoir et commerce caravanier se mêlaient. Son vieux Ksar, bâti il y a plus de huit siècles, se dresse encore, fièrement, malgré l’érosion du temps et l’oubli des hommes. Construit de terre et de palmes, il abrite la célèbre zaouïa Ziania, fondée par Sidi Mohamed Ben Bouziane au XVIIe siècle, un lieu de rayonnement religieux qui attira disciples du Maghreb, du Sahel et de Tombouctou.
Le Ksar, cœur battant d’un passé spirituel
Dans les ruelles silencieuses de « la Casbah », les traces du passé se devinent : deux mosquées séculaires, un cimetière, des murs de pisé qui racontent une époque où le savoir se transmettait par les manuscrits. La bibliothèque « Ziania Kendoussia » conserve encore de rares ouvrages sur la théologie, le soufisme et la littérature arabe, témoins d’un âge d’or intellectuel. La plupart des habitants ont quitté les vieilles demeures pour des maisons modernes. Les restaurations, sporadiques, n’ont pas suffi à sauver les façades effondrées. L’intervention des autorités est difficile car les maisons appartiennent à des familles dispersées. Classé patrimoine national depuis 1999, l’ancien quartier n’accueille plus que de rares visiteurs, souvent chercheurs ou nostalgiques.
Des pierres qui parlent d’un autre temps
Pourtant, Kenadsa ne vit pas que dans la nostalgie. En 2023, trois nouveaux sites archéologiques ont été découverts dans les régions de Kenadsa et de Lahmar. À El Mnassba, des pierres gravées de caractères tifinagh, datées du premier millénaire avant notre ère, témoignent des civilisations berbères les plus anciennes. À Chabka, les gravures rupestres montrent éléphants, bovidés et rhinocéros, traces d’un écosystème disparu. Plus au nord, un cimetière islamique composé de tumulus et de sépultures anciennes évoque les premiers foyers humains du Sahara.
Ces découvertes confirment que la vallée de la Saoura fut, depuis la préhistoire, un carrefour de vie et de culture. Le musée communal de Kenadsa expose d’ailleurs ces trésors : outils de pierre, grattoirs, flèches, ainsi qu’une collection de fossiles et d’animaux empaillés rappelant la diversité de la faune locale.
Le charbon, mémoire noire du désert
L’histoire de Kenadsa plonge aussi dans les profondeurs du sol. Au début du XXe siècle, la région devient un haut lieu de l’exploitation du charbon. Dans les années trente et quarante, son minerai noir est exporté vers la France, l’Espagne et l’Italie. À l’entrée de la ville, un vieux train de marchandises, rouillé, symbolise cette épopée. Une pancarte y annonce « cité des mines ». La France coloniale exploitait les travailleurs dans des conditions inhumaines. Beaucoup mouraient dans les tunnels, d’autres souffraient de silicose. Le musée municipal consacre aujourd’hui une salle entière à cette histoire : outils de creusement, lampes, casques, journaux d’époque et photographies racontent les drames vécus par les ouvriers. L’activité minière s’arrête en 1967, laissant derrière elle un passé douloureux, mais aussi un patrimoine industriel unique dans le Sahara.
Terre d’artistes et d’écrivains
Kenadsa est aussi terre d’artistes et d’écrivains. Cette ville a donné le jour à des écrivains, voire à des penseurs contemporains de grand renom aujourd’hui. Et là, nous pensons particulièrement à Yasmina Khadra, la romancière Malika Mokeddem, Pierre ( Rabah) Rabhi ou encore le musicien Abdelaziz Abdellah, dit « Alla El Bechari », qui y sont nés.
Le musée communal rend hommage à ces figures qui ont porté haut le nom de leur ville. Si les mines se sont tues, la cité n’a jamais perdu son souffle culturel. Dans les cours du vieux Ksar résonne encore « El Ferda », musique mystique inspirée du melhoun, où se mêlent louanges, poèmes d’amour et chants soufis. Les danses locales, telle « Berkaïcho », continuent de célébrer l’esprit du désert : les danseurs, vêtus de peaux et de masques d’animaux, se laissent emporter par le rythme hypnotique des percussions.
Une oasis façonnée par l’oued
Autour de la cité, le paysage de la Saoura déploie sa beauté silencieuse : montagnes rocheuses, dunes blondes et oasis éclatante. À quelques kilomètres, le barrage de Djorf Torba abrite oiseaux migrateurs, loutres et bouquetins. La vie, ici, naît de l’eau : les oueds qui sillonnent ces plateaux arides forment la fameuse « rue des palmiers » reliant Ouakda, Béchar, Kenadsa et Reggane. C’est à la faveur du commerce caravanier, au XVIe siècle, que Kenadsa s’imposa comme halte stratégique. De simple point d’eau appelé « Laouina », elle devint au XVIIe siècle, sous l’impulsion de Sidi Mohamed Ben Bouziane, un haut lieu spirituel. Son nom, Kenadsa, marque cette transformation : d’une source discrète à une terre d’élection religieuse.
A l’ombre de Taghit et de Béni Abbès
Aujourd’hui, quelques touristes curieux ou chercheurs arpentent les ruelles effondrées du Ksar. Ils y découvrent des portes sculptées, des voûtes en terre séchée, des coupoles blanchies par le soleil. Chaque pierre ici raconte une histoire. S’il est vrai que Kenadsa n’offre ni hôtels ni dunes spectaculaires. Sa beauté est presque méditative. C’est une cité qui se mérite, qui se visite lentement, à l’écoute du vent et du silence. Dans une époque où le tourisme cherche l’authenticité, elle incarne ce que le désert a de plus vrai : la continuité, la foi et la patience.
Très peu d’agences ne proposent encore de circuits vers Kenadsa. Les voyagistes privilégient Taghit ou Béni Abbès, laissant cette cité millénaire dans l’ombre. On parle de la Saoura, mais rarement de Kenadsa. Pourtant, sans elle, la région n’aurait pas eu cette profondeur spirituelle. Kenadsa ne cherche pas à séduire. Elle attend simplement qu’on la redécouvre, qu’on l’écoute. Elle n’a pas besoin de mise en scène : ses ksour, ses manuscrits et ses musiques parlent pour elle. Ici, le temps semble suspendu, comme pour rappeler que certaines beautés ne s’usent pas.
Et c’est justement là que réside la promesse touristique de Kenadsa. À l’écart des grands circuits, la localité offre un autre visage du Sud : celui d’un patrimoine vivant, d’une oasis qui conjugue culture, spiritualité et hospitalité. Les visiteurs y découvrent non pas un simple lieu de passage, mais une halte d’âme, un espace de rencontre entre l’histoire et le désert, entre la pierre et la lumière. Dans le renouveau du tourisme saharien, Kenadsa mérite de retrouver peu à peu sa place sur la carte touristique car elle s’impose comme une destination de sens, où l’authenticité devient la plus belle des invitations au voyage.
Par : Aly D












