Entre traditions paysannes, savoir-faire local et nouvelles cultures, l’agriculture de montagne trace sa voie dans les reliefs du Nord.
Des monts de l’Edough aux Aurès, des Babors jusqu’aux hauteurs de Chréa en passant par le Djurdjura, l’agriculture de montagne reste un monde à part, souvent discret. Ces zones forment près de 20 % de la surface agricole utile du pays, selon une note de la Direction générale des forêts datée de 2020. Longtemps éclipsée par les grands périmètres irrigués de la Mitidja ou des Hautes Plaines, cette agriculture de pente façonne pourtant des paysages vivants et des modes de production durables, adaptés à la topographie et au climat.
Des terres difficiles mais fertiles
Les contraintes y sont nombreuses : sols minces, érosion, accès difficile à l’eau et aux marchés, vieillissement de la population agricole. Mais ces régions abritent une « diversité écologique remarquable » où se mêlent forêts, cultures et élevage. Dans les montagnes des Bibans et des Aurès, l’arboriculture fruitière – pommiers, oliviers, figuiers – demeure dominante, complétée par de petites surfaces maraîchères. Ces équilibres agropastoraux, hérités de pratiques communautaires, ont permis de maintenir des espaces cultivés dans des zones où la pente dépasse parfois 30 %.
Un potentiel souvent méconnu
Selon une étude menée par le Centre de développement des énergies renouvelables (CDER) en 2020, la contribution de ces zones à la production agricole nationale avoisine 16 %, une proportion jugée « significative au regard de la fragilité des milieux ». Les montagnes du Nord-Est offrent un microclimat humide favorable à la diversification : légumes primeurs, petits fruits, élevage laitier, apiculture. Dans les massifs de l’Ouarsenis ou du Djurdjura, le même dynamisme se traduit par un retour progressif des jeunes vers la terre, encouragés par la demande locale pour des produits frais et authentiques.
Montagne nourricière
Les terres cultivées témoignent d’une économie patiente, fondée sur la proximité et la saisonnalité. Les exploitations y sont modestes, souvent familiales, mais leur production reste précieuse. Plus proche de nous, à Séraïdi, sur les hauteurs verdoyantes qui dominent Annaba, l’agriculture s’accroche aux pentes comme une vieille habitude paysanne. Dans les monts de l’Edough, les vergers côtoient les fraisières et les petits potagers familiaux. Ici, la terre fraîche et les sources d’altitude offrent des récoltes d’une grande diversité : pommes croquantes, fraises parfumées, lait fermier, mais aussi salades, petits légumes de saison et plantes aromatiques très recherchées par les consommateurs urbains. Selon les saisons et les récoltes, des producteurs locaux descendent vers le marché central. Ils savent qu’ils vont facilement écouler leurs produits.
Les gardiens du goût
Dans les régions montagneuses, les petits producteurs perpétuent un lien intime entre la terre et la table. Leurs produits maraîchers, réputés pour leur fraîcheur et leur goût authentique, attirent une clientèle fidèle, souvent citadine, en quête de naturel. L’engouement pour ces récoltes tient autant à la qualité du goût qu’à la confiance dans des pratiques sans chimie.
Sur les marchés locaux, la scène se répète chaque matin : à peine les petits cageots déposés, les acheteurs affluent. Persil, coriandre, menthe, céleri, thym ou miel trouvent preneur en quelques minutes. Certains producteurs étalent aussi leurs fruits de saison : grenades, pamplemousses, caroubes. L’odeur des herbes fraîches emplit l’air. Pour beaucoup de familles, la culture de ces plantes aromatiques représente une source de revenu essentielle. Ces produits « du haut » ont trouvé leur place dans une économie locale en plein renouveau, portée par une demande croissante pour les circuits courts. Dans les zones d’altitude, d’autres agriculteurs se tournent vers l’aviculture : œufs fermiers, poulets, dindes et parfois lapins complètent l’offre des marchés. Cette production diversifiée traduit l’ingéniosité des montagnards, qui s’adaptent aux saisons et à la nature du relief pour tirer le meilleur de leur environnement. Les consommateurs, eux, ne s’y trompent pas. Quitte à payer un peu plus cher, ils repartent avec le sentiment de se nourrir sainement.
Des montagnes de production et d’ingéniosité
Si les défis restent nombreux, exode rural, manque d’infrastructures et changements climatiques, la montagne résiste. Dans la wilaya de Jijel, selon une étude du ministère de l’Agriculture publiée en avril 2024, près de 40 % des exploitations de montagne ont adopté des systèmes d’irrigation économes, souvent alimentés par des sources locales ou des citernes. À Tlemcen, dans les monts de Béni Snous, la relance de l’apiculture et de la culture du figuier a permis de revitaliser plusieurs hameaux dépeuplés.
La tendance est discrète mais réelle. Les jeunes générations reviennent parfois sur les terres familiales, attirées par la promesse d’une vie plus autonome et d’une production à valeur ajoutée. D’après le rapport 2023 du Centre national de recherche agronomique, plus de 12 000 jeunes agriculteurs se sont installés dans les zones de montagne ces cinq dernières années, soutenus par des dispositifs d’aide à la petite agriculture de montagne. Des jeunes qui investissent dans les oliveraies, l’élevage caprin et la transformation artisanale du lait. Même tendance dans le massif des Aurès, où la production de pommes et d’amandes retrouve de la vigueur grâce à la création de petits groupements agricoles.
Ces micro-initiatives, souvent locales, participent à un maillage économique fondé sur la proximité. La montagne ne fournit pas de volumes importants, mais elle garantit la qualité et la régularité. C’est tout l’enjeu de cette agriculture dite « de niche », tournée vers la valorisation de produits à forte identité régionale : miel des Babors, huile d’olive d’Ouadhia, fromage fermier de Sétif ou figues sèches de Béni Maouche.
Transmission et savoir-faire
Les pratiques ancestrales de culture en terrasses, de collecte de l’eau de pluie et d’utilisation d’engrais naturels traduisent une connaissance fine du milieu montagnard. Ces méthodes se transmettent encore oralement, de père en fils, mais aussi de mère en fille, car cette agriculture reste profondément humaine : elle repose sur la main-d’œuvre familiale, les échanges communautaires et un rapport étroit à la terre. Les agriculteurs de montagne ne se perçoivent pas comme des exploitants mais comme des gardiens d’un équilibre entre tradition, culture et nature.
L’agriculture de montagne, souvent considérée comme marginale, se révèle en réalité essentielle à l’équilibre territorial. Elle contribue à la préservation des sols et au maintien de la biodiversité. Dans un contexte de changement climatique, elle pourrait même devenir un modèle d’adaptation, grâce à la diversité de ses cultures et à la sobriété de ses pratiques. Rien n’y est spectaculaire, tout y est essentiel. Dans le geste lent du paysan, dans la fraîcheur d’un fruit ou le parfum d’un miel d’altitude, se lit la continuité d’un pays qui résiste par sa terre, humblement mais sûrement. Loin des grandes plaines mécanisées, la montagne trace une autre voie : celle d’une agriculture humaine, enracinée, qui défie le temps par le soin et la lenteur. Dans ces hauteurs discrètes, la terre n’est pas seulement cultivée, elle est vécue, gardienne d’un lien essentiel entre l’homme et son paysage.
Par : Aly D












