El-Eulma est surtout connue comme la capitale du commerce en Algérie, attirant quotidiennement des milliers d’acheteurs. Mais derrière cette effervescence commerciale se cache un passé exceptionnel, dont certaines traces remontent à plusieurs millions d’années, que peu de visiteurs connaissent.
En moins de vingt ans, El-Eulma est passée d’un petit marché de gros et demi-gros de droguerie et de quincaillerie à une véritable place commerciale incontournable. Son souk « Dubaï », surnommé Shâra’ par les habitants, concentre l’offre en équipements domestiques et en petit outillage industriel, attirant chaque jour des visiteurs venus de tout le pays. Des cars entiers de touristes tunisiens y font escale tout au long de l’année.
Contrairement aux souks traditionnels, le Dubaï d’El-Eulma est organisé comme un lotissement moderne, avec des rues se coupant à angle droit et bordées de bâtiments commerciaux sur plusieurs niveaux. Les rues, parfois piétonnes aux heures de grande affluence, sont reliées à des stations de bus et de taxis, et un vaste parking permet d’accueillir la foule quotidienne. Pour beaucoup, c’est le visage unique de la ville, celui qu’ils découvrent en quelques heures de shopping.
Derrière les vitrines, la culture attend son heure
Si le commerce est aujourd’hui l’image dominante de la ville, le patrimoine historique d’El-Eulma et de ses environs est d’une richesse exceptionnelle et très ancienne. À seulement six kilomètres se trouve le site archéologique de Ain Haneche, l’un des plus anciens au monde, daté par paléomagnétisme à 1,8 million d’années, témoignant d’une présence humaine depuis les origines. Les fouilles ont révélé des outils en pierre et des vestiges fossiles qui permettent de retracer l’évolution des premiers hominidés dans la région. Le site de Tarlist, quant à lui, révèle une basilique et un reliquaire datant du VIe siècle, illustrant l’implantation chrétienne en Numidie et la diffusion des rites chrétiens dans les villes et villages avoisinants. Ces sites témoignent d’une continuité de l’occupation humaine et d’une importance stratégique pour les civilisations successives.
De la Numidie à Rome
Durant l’Antiquité, la région d’El-Eulma appartenait à la Numidie, avec pour chef-lieu les ruines antiques de Djemila, tandis que la ville voisine Sétif appartenait à la Maurétanie. L’oued El-Deheb, « rivière d’or », servait alors de frontière naturelle entre les deux provinces, et les populations locales contrôlaient les points de passage stratégiques. En l’an 42, après la révolte d’Aedemon, l’empereur romain Claude annexe la Maurétanie, unifiant l’Afrique du Nord sous l’égide de l’Empire romain. La région devient alors un point de transit pour les routes commerciales reliant les plaines côtières aux hauts plateaux et au Sahara, facilitant l’échange de biens et de savoirs.
Carrefour militaire et spirituel au VIIIe siècle
Au VIIIe siècle, le général arabe Okba Ibn Nafi’ installe un poste militaire et un centre de soins près de la montagne Bram, et s’appuie sur les habitants locaux pour ses expéditions. La montagne et ses sources thermales, à l’origine du nom « Bram » dérivé de l’arabe Brao signifiant « ils sont guéris », attirent aussi les voyageurs et commerçants. C’est également à cette époque que la ville prend le nom d’El-Eulma, probablement en référence au Djoumaa El Ouléma, un mausolée de savants religieux situé à deux kilomètres au nord. À 40 km au nord, à Beni Aziz, se trouvent les ruines d’Ikdjane, lieu de naissance de la dynastie des Fatimides, dont le quatrième calife, Al-Muizz li-Dîn Allah, est originaire.
Terre de batailles
Au XVIe siècle, El-Eulma est associée à des figures politiques et militaires locales. En 1541, le Bey de l’Ouest de la Régence d’Alger investit l’émir Ali Abu Akkaz Ibn Sakhri du titre de Cheikh El Arab, en reconnaissance de son rôle dans la consolidation de l’autorité régionale. Dix ans plus tard, ce dernier escorte l’armée d’Alger lors d’expéditions sahariennes vers Biskra, Ouargla et Touggourt, contribuant au contrôle des routes commerciales transsahariennes. Ali Abu Akkaz Ibn Sakhri meurt en 1581 et est enterré dans le cimetière de Sidi El Messaoud, au cœur de la ville, un lieu qui demeure aujourd’hui un témoignage tangible de l’histoire locale.
En 1700, la bataille de Djouamaa El Eulma oppose l’armée de la Régence d’Alger à celle du Bey de Tunis, qui est vaincue et contrainte à la fuite. La ville subit ensuite la période coloniale française, qui la renomme Saint-Arnaud en 1862. Elle retrouve son nom d’origine après l’indépendance en 1962. La ville est également le théâtre de nombreux affrontements lors du soulèvement de 1870 contre l’armée française, illustrant la résistance et l’attachement de ses habitants à leur territoire et à leur identité culturelle.
Un patrimoine à révéler
Pour que ce patrimoine exceptionnel ne reste pas dans l’ombre, il serait nécessaire de mettre en place des initiatives concrètes pour le rendre visible et accessible. L’installation de panneaux explicatifs et de plaques signalétiques sur les sites historiques permettrait d’informer les visiteurs sur leur importance et leur histoire. La diffusion de flyers et de brochures dans les lieux de passage et les commerces du centre-ville pourrait sensibiliser le public et les touristes aux trésors archéologiques et historiques de la région. Des visites guidées organisées par des associations ou des agences de tourisme locales, des initiatives sectorielles du tourisme et de la culture, ainsi que l’implication des habitants eux-mêmes à travers des projets civiques, contribueraient à créer un véritable circuit patrimonial. La mise en valeur de ces sites permettrait non seulement de préserver la mémoire historique d’El-Eulma, mais aussi de compléter son dynamisme commercial par un attrait culturel et touristique renforcé, offrant aux visiteurs une expérience plus riche et complète de la ville.
Véritable moteur économique
Au-delà de l’aspect culturel et mémoriel, le développement du tourisme autour de ces sites constituerait un véritable moteur économique pour El-Eulma. Déjà réputée pour son commerce, la ville pourrait capitaliser sur cette affluence pour proposer une expérience plus complète, où les achats se mêleraient à la découverte patrimoniale. L’essor d’un tel tourisme aurait des retombées directes : création d’emplois, dynamisation de l’hôtellerie et mise en avant de l’artisanat local. Les visiteurs qui, aujourd’hui, ne font souvent qu’une halte marchande pourraient être incités à prolonger leur séjour pour explorer la richesse historique des environs, générant ainsi de nouvelles ressources pour les habitants et les collectivités. En reliant son dynamisme commercial à son héritage culturel, El-Eulma aurait tout à gagner : non seulement diversifier son économie, mais aussi renforcer son attractivité nationale et régionale.
Aujourd’hui, El-Eulma continue d’attirer des foules pour ses marchés aux allures de « Dubaï », mais son avenir pourrait se jouer dans sa capacité à faire dialoguer ses vitrines modernes avec ses pierres millénaires. Si elle parvient à conjuguer l’effervescence de ses affaires et la mise en lumière de son patrimoine, la ville ne sera plus seulement une capitale du négoce, mais aussi une étape incontournable du tourisme culturel national.
Par : Aly D












