Par : B. Mustapha
Après la démission du Pr. Fouad Khalloufi et le sit-in des soignants de son service (pneumologie), c’est au tour du principal service de prise en charge des malades atteints de Covid-19 de tenir un sit-in à l’intérieur de l’hôpital du Dr. Dorban (Pont-Blanc), pour dénoncer encore et toujours la mauvaise gestion des autorités sanitaire locales de cette crise.
La sécurité interne du CHU est complètement absente, ce qui laisse place à des agressions récurrentes du personnel médical et paramédical. « Il y a plusieurs agressions par jour. A chaque fois que nous informons les parents de personnes malades, que le service est saturé, qu’il n’y a plus aucune place et que nous manquons d’oxygène, ils s’en prennent au personnel soignant. On les comprend ; c’est humain. Personne ne peut accepter de voir ses proches suffoquer et mourir devant ses yeux », témoigne une médecin du service des maladies infectieuses approchée par Le Provincial lors du sit-in.
Pour le professeur Mekki Aïdaoui, chef du service des maladies infectieuses, la première nécessité est d’offrir un lit et de l’oxygène à tout malade qui en a besoin. « Notre première revendication est que tout citoyen qui a besoin d’un lit avec de l’oxygène soit satisfait. Ce qui est grave, c’est qu’on est en train de sélectionner qui doit avoir de l’oxygène et qui va mourir chez lui. Je ne suis pas là pour décider qui doit vivre ou mourir. Celui qui a besoin d’oxygène doit pouvoir en trouver », indique le chef du service en question.
“Gestion catastrophique” !
La « mauvaise gestion » a, selon le personnel qui est en première ligne pour combattre la maladie, aussi provoqué des dégâts. Depuis le début de cette troisième vague meurtrière, le nombre de personnes infectées et de morts a explosé à Annaba, mais le nombre de services dédiés à la prise en charge des malades Covid-19 n’a pas changé. En plus de la réanimation médicale et du pavillon des urgences médicales (PUM), seulement 4 services prennent en charge les cas covid-19, à savoir la pneumologie, les maladies infectieuses, la médecine interne et la pédiatrie à l’hôpital Sainte Thérèse.
M. Mohamed Nacer, le DG du CHU d’Annaba, a, dans une note affichée le 1er août, annoncé l’ouverture de cinq autre services pour venir en aide à ceux qui sont au charbon depuis déjà 18 mois. Les services de rhumatologie, gastro-entérologie, grands-brûlés, dermatologie et ORL devaient offrir 80 lits supplémentaires. Ceci aurait pu améliorer grandement la qualité des soins aux patients et même sauver plusieurs vies de malades, décédés faute d’hospitalisation et de soins adéquats. Mais la « décision » du premier responsable du CHU d’Annaba est restée au stade de « note affichée pour absorber la colère du personnel médical et paramédical », nous a-t-on indiqué.
Certains services ont, selon le Pr. Aïdaoui, suspendu toutes leurs activités médicales, hormis les urgences. Le chef de service et ses collaborateurs estiment que leurs effectifs peuvent et doivent être réquisitionnés pour le bon fonctionnement des services débordés par la prise en charge des malades Covid-19.
L’opacité et la politique du “tout va bien”
Près de 2 heures après le début du sit-in, le DG du CHU a bien voulu quitter son bureau pour venir « négocier » avec le personnel en colère et leur syndicat. Questionné sur la crise de l’oxygène, le DG du CHU d’Annaba a « piqué une crise », affirmant qu’il s’agissait d’un véritable harcèlement à son encontre. « Les journalistes ne sont là que quand ça va mal », a-t-il crié, tout en donnant des instructions aux policiers pour empêcher tout journaliste d’accéder au CHU. « Aucune image ne doit sortir. Tout doit être filtré », a ordonné le responsable, qui veut, selon toute vraisemblance, poursuivre sa politique du « tout va bien ; la situation est sous contrôle ».
Lors de la réunion avec le DG, c’est le professeur Zahira Boudiaf qui a pris la parole pour expliquer les souffrances de ses collègues. « Pour le manque d’oxygène, nous savons qu’il s’agit d’une crise nationale, mais on est face aux malades. Nous les prenons en charge, pendant 48 heures ou 72 heures, nous fournissons tous les efforts ; l’état du malade commence à se stabiliser, il va mieux. Et il suffit d’une coupure de quelques heures pour que tous nos efforts disparaissent et qu’il décède. Nous sommes en train de voir nos patients mourir sous nos yeux. Ce n’est pas facile pour nous d’accepter ça, surtout quand c’est fréquent et répétitif. Je ne parle pas de la réaction des accompagnateurs des malades qui décèdent et les agressions, mais je parle du fait de voir un malade mourir asphyxié sous nos yeux… c’est pire que tout », a expliqué le professeur Boudiaf, tout en donnant de nombreux exemples.
« Nous n’avons plus le cœur ni le courage d’annoncer à des malades dénaturés en oxygène et à leur famille en détresse et en pleurs que nous ne sommes pas en mesure de les aider, de les prendre en charge et de les hospitaliser. Psychologiquement, les malades, leurs familles et même le personnel sont à bout. » explique Mme Nechla Radia. Les médecins ont, aussi, dénoncé le « bricolage ».
Pour sa part, le DG du CHU a donné plusieurs promesses quant au règlement de la situation. Affirmant qu’il allait faire appel aux services de médecins privés si ceux-ci s’engagent à ne pas réclamer de poste budgétaire par la suite. Pour l’ouverture des autres services, M. Nacer a justifié le retard par la crise de l’oxygène. « Nous n’avons pas suffisamment d’oxygène pour les services déjà opérationnels. On ne peut pas augmenter le nombre de services et, de ce fait le nombre de malades hospitalisés », aurait expliqué le responsable.
De leur côté, les soignant estiment qu’il s’agit là d’une énième promesse sans lendemain, destinée à gagner du temps. En attendant, les malades agonisent toujours et les décès par asphyxie s’enchainent.