Par : Fatima Zahra Bouledroua
Aux abords de la plage Rizi Amor (ex Chapuis), à la cité des Jasmins, on découvre, au milieu de commerces divers, un endroit atypique. L’unique café-théâtre en Algérie crée en août 2020 par l’acteur de cinéma et de télévision Fethi Nouri rouvre ses portes après une longue période de confinement sanitaire, au grand bonheur du public et des jeunes Annabis. Des activités culturelles et artistiques « non-stop » sont à l’affiche. Une programmation digne d’une vraie institution culturelle qu’offre ce joyau à la ville, dans l’indifférence la plus totale des artistes Annabis, associations culturelles et responsables ou représentants du secteur de la culture de la wilaya d’Annaba.
C’est ainsi que Fethi Nouri a exprimé sa déception et son incompréhension « Depuis que – La mise en scène – café-théâtre a ouvert ses portes aux public, aucun artiste, association culturelle ni même pas représentant du secteur de la culture ne m’a rendu visite, je ne comprends pas pourquoi ? » a-t-il noté au journal Le provincial. Et pourtant, page Facebook, compte Instagram, présence sur l’agenda culturel virtuel local de « Bône-culture », articles de presse, plateaux télés,…Rien ne semble susciter l’intérêt des acteurs culturels pour à aller visiter, encourager ou pourquoi pas collaborer avec « La mise en scène » café-théâtre. Monté de toutes pièces par l’acteur de cinéma et de télévision Fethi Nouri , ce projet citoyen se veut un lieu de spectacle, de partage et de découverte de jeunes talents. Il lui a fallu deux années et beaucoup de volonté pour concrétiser son projet. Le café-théâtre « La mise en scène » se démarque par une jolie décoration et une belle petite scène de spectacle bien équipée. Associant théâtre et musique, cet endroit chaleureux et professionnel offre des spectacles où il est possible de déguster de bonnes petites gourmandises en sirotant thé et café. L’objectif de ce projet innovant est de promouvoir la culture théâtrale, valoriser les jeunes artistes Annabis en leur offrant un endroit convivial pour monter sur scène aisément. Le café-théâtre a une capacité de 60 chaises, spacieux confortable, l’artiste n’avait pas lésiné sur les moyens pour mettre tout son savoir, savoir-faire et savoir être pour servir la ville, les jeunes et la culture.
Initiative personnelle ou stratégie ministérielle ?
Au moment où l’ex ministre de la culture et des arts Malika Bendouda avait annoncé l’installation d’une commission de réforme pour le théâtre en juillet 2020, le café-théâtre « La mise en scène » s’apprêtait déjà à ouvrir ses portes au public. Elle avait expliqué dans la conférence de presse tenue le 22 juillet 2020 sa vision quant à l’implication du secteur privé dans le théâtre, annonçant sa prochaine visite au théâtre « La Fourmi » d’Oran, et ce, bien avant son inauguration officielle en Mars 2021. Il est clair qu’il y avait une volonté politique d’impliquer le secteur privé dans la culture, L’ex ministre a également fait état de l’élaboration d’un cahier de charge pour l’investissement dans les projets à caractère culturel, y compris salles de cinéma et théâtres privés. La commission pour une réforme du théâtre présidée par l’auteur et dramaturge Hmida Ayachi, avait réuni plusieurs experts, professionnels et universitaires, et a appelé à accompagner les start-up, et, a lancé un appel aux investisseurs économiques pour investir dans la culture. Plusieurs décisions ont été annoncées par la suite à la clôture du premier forum de l’économie culturelle tenu le 03 avril 2021. « Pourquoi n’a-t-elle donc pas visité l’unique café-théâtre en Algérie lors de son passage à Annaba fin Aout 2020 ? » se demande monsieur Fethi Nouri, « le passage de la ministre à Annaba coïncidait avec l’ouverture du café-théâtre » « j’ai mené à bien mon projet seul et sans aucune aide » ajoute-t-il au Le provincial. Il note : « L’ex ministre Bendouda a engagé des personnalités de la profession pour la réforme, j’étais en contact entre autres avec Leila Touchi pour discuter, donner des idées et avis sur le sujet » Fethi Nouri semblait être en avance par rapport au discours officiels autour de l’économie de la culture.
L’économie de la culture
Il est vrai qu’entreprendre dans le domaine de la culture n’est pas aussi simple. Le fait qu’un artiste soit initiateur de projet rend les choses plus singulières et le met face à une double culture. En général, les économistes ne cherchent pas à spécifier les résultats de leurs études en fonction des spécificités de tel ou tel secteur, c’est au manager de prendre en considération les singularités de son domaine pour les appliquer sur le terrain. Mais dans le secteur de la culture, plusieurs théoriciens s’accordent sur le fait que la culture obéisse à une logique spécifique. Pour Adam Smith la culture est un bien commun qu’il lie à l’éducation, il considère que les artistes surestiment leurs chances de gagner, « ils ont une folle conscience en leur bonne étoile », ce qui expliquerait les fins de carrières précoces. Marx revient sur la valeur des œuvres d’arts et la valeur-travail. Becker en suivant les travaux de Marshall note le principe de « l’addiction positive » en étudiant la consommation de la musique. Schumpeter différencie entre créativité économique et créativité artistique, la nouveauté artistique est selon Arrow est irritante. D’autres travaux ce sont focalisés sur le caractère ponctuel des activités artistiques et culturelles en précisant la pertinence d’utiliser le terme économie des arts plutôt qu’économie de la culture, car cette dernière impliquerait l’éducation, la formation et l’information. L’économie de la culture est un champ de recherche interdisciplinaire complexe nécessitant l’implication de laboratoires de recherches universitaires pour trouver de réelles solutions surtout en Algérie où la culture a toujours été très loin de l’économie.
Artiste entrepreneur ou entrepreneur artiste ?
Il est vrai que le concept artiste entrepreneur est utilisé de plus en plus pour désigner la capacité de ce dernier à prendre en charge ses affaires, l’artiste de nos jours n’est plus synonyme d’ingéniosité et de virtuosité uniquement, il est relié à la production, distribution, réseau…. L’artiste entrepreneur est un créateur de projet artistique qui prend en charge l’aspect humain, financier et économique pour développer sa création et rencontrer un public qui va lui permettre de développer sa créativité. « La mise en scène » café-théâtre a été conçue tout d’abord pour être une pépinière de projets artistiques, un casting a été lancé pour sélectionner des graines de comédiens, et périodiquement, des jeunes talents montent sur scène pour découvrir le public et gouter au plaisir de la scène. Des cycles de formations théâtrales sont prévus dans les prochains mois. Fethi Nouri est un entrepreneur artiste porteur de son projet et de celui des autres jeunes artistes, c’est un artiste entrepreneur par excellence.
Que d’obstacles !
Actuellement, le café-théâtre « La mise en scène » rencontre des difficultés financières, tant la crise sanitaire y avait imposé l’arrêt de six mois sur les 15 mois d’activités. Les projets et spectacles entamés qui avaient réussi à fidéliser un public de qualité, ont été mis en veille. Fethi Nouri revient lors de l’interview avec Le provincial sur les péripéties de la création de ce projet « j’ai eu des obstacles administratifs et bureaucratiques, le café-théâtre n’existe pas au niveau du centre national des registres de commerce CNRC ». « Le code de café-concert existait auparavant, il a été retiré, ce qui m’a obligé à combiner plusieurs codes pour avoir un registre de commerce me permettant d’ouvrir mon commerce et créer le café-théâtre ». « Deux années à surmonter des obstacles et un grand investissement pour pouvoir venir à bout de ce projet », explique-t-il. Il est à noter que Fethi Nouri a été formé dans le cinéma en Italie ou il a enchainé plusieurs rôles, avant d’être contacté par le réalisateur Bachir Derrais pour jouer dans le film de Ben Mhidi. Depuis, Il multiplie les rôles en Algérie et a de grands projets personnels en perspectives. Pour le café-théâtre qui représente un atout pour la ville d’Annaba, L’artiste souhaiterait être affilié au ministère de la Culture pour pouvoir s’épanouir et jouer pleinement son rôle dans le secteur de la culture. Sera-t-il entendu ?