À l’approche de l’Aïd El-Adha, l’État tente de soulager les ménages en crise avec l’importation massive de moutons à prix réduit. Mais à Kherraza, ce qui devait être une bouffée d’oxygène, s’est rapidement transformé en chaos. Entre soucis logistiques, suspicions maladives de favoritisme, la vente a sombré dans un désordre quelque peu ‘’organisé’’ par certains énergumènes habitués à faire leur beurre lors d’occasions similaires.
Après plusieurs années de souffrances populaires face à la flambée incontrôlée des prix du bétail à l’approche de l’Aïd El-Adha, l’initiative de l’Etat d’importation massive de moutons, matérialisée, mercredi dernier, par l’arrivée de 8.300 têtes ovines de Roumanie au port d’Annaba, a été perçue comme une bouffée d’oxygène pour des ménages étranglés. Proposés à un tarif plancher de 40.000 DA, ces moutons ont brutalement cassé la dynamique inflationniste du marché local, induisant, même dans les cas où les quotas disponibles ne sauraient répondre à la demande globale, une baisse immédiate des prix sur les circuits privés. Il est évident que ce point de vente qui propose 500 bêtes ne peut répondre à la forte demande de plusieurs centaines de potentiels acheteurs surexcités, sachant que d’autres arrivées sont prévues avant l’Aïd.
Mais cette initiative salutaire s’est heurtée à une réalité logistique, dont l’un des épicentres fut le centre de vente de Kherraza, en face de Viva Mall. Une situation qui n’a pas échappé aux autorités, lesquelles, dès la mi-journée, ont dû réagir en urgence en décidant le déplacement du point de vente pour désengorger la RN44, gravement impactée par des embouteillages monstres, tout en annonçant l’ouverture de trois (3) nouveaux points de vente supplémentaires, s’ajoutant aux huit (8) initialement prévus.
Un prix attractif, une foule en furie
Fixé à 40.000 DA, le tarif du mouton importé a attiré une foule nombreuse. Dès la veille, des files se sont formées. À Kherraza, les premiers tambours ont retenti dès 13h lundi : des centaines de citoyens ont dressé leurs propres listes d’attente, certains passant la nuit sur place, dormant dans leurs véhicules garés à la va-vite sur les accotements de l’autoroute, obstruant la circulation.
À 10h30, notre équipe s’est rendue sur les lieux. L’atmosphère était plutôt bon enfant et la situation maitrisée par les autorités en charge de l’opération. Des barrières ont, bien, été installées par l’APC avec l’appui de la Gendarmerie nationale, mais l’indiscipline générale a rapidement réduit ces dispositifs à de simples décors.
Contacté, M. Mebarek, responsable des points de vente pour AGROLOG, soutient une version tout autre : «Tout a été préparé, tant sur le plan sécuritaire qu’organisationnel. Le citoyen entre, on lui remet un ticket, on lui présente un mouton. S’il l’accepte, il paie et prend possession de sa bête.»
Mais sur terrain, ce processus reste quelque peu théorique. En effet, pas de file officielle, pas de tickets d’attente, aucun point d’information. Seuls les citoyens, livrés à eux-mêmes, ont tenté d’instaurer un semblant d’ordre, mais pas très net non plus, tant le ‘’bizness’’ avait également sa place.
L’anarchie ‘’citoyenne’’ en héritage
Mais au-delà du volet organisationnel –certainement à parfaire- nourri par des ‘’clients’’ un peu spéciaux, c’est aussi une forme d’incivisme populaire qui a pris le dessus offrant un spectacle indigne de l’objet de l’opération en ce qu’elle a de sacrée. Car nul n’a enjoint les citoyens à venir la veille, à camper dans leurs voitures sur les accotements d’une autoroute, ou à improviser des listes d’attente artisanales qui n’ont aucune valeur officielle. Ce réflexe de débrouille anticipée, souvent empreint de panique collective, trahit moins un désir d’ordre qu’une angoisse sociale généralisée : celle d’être exclu, d’arriver trop tard, d’être floué. Mais cette anxiété, lorsqu’elle dégénère en initiatives anarchiques, ne fait qu’alimenter le désordre qu’elle prétend conjurer.
Enfin, est-il nécessaire de rappeler que cette opération de vente de moutons subventionnés, est dirigée à l’endroit de familles aux revenus modestes et qu’il est du devoir de tout un chacun d’y mettre du sien pour que pareille initiative sociale de l’Etat ne soit dévoyée et profiter encore à des rapaces sans foi ni loi.
Faut-il rappeler, également, que cette vente n’est pas du tout du goût des maquignons et autres magnats des marchés à bestiaux, qui voient s’envoler des milliards auxquels ils s’étaient habitués ?
L’Etat a fait sa part du boulot, aux citoyens d’en faire autant. Pour leur dignité.
Mahdi AMA