Par : Mustapha B.
La situation au niveau des services dédiés à la prise en charge des malades Covid-19 au niveau de la wilaya d’Annaba devient intenable. Il y a quatre jours, c’était le professeur Fouad Khalloufi, le chef du service de pneumologie qui a déposé sa démission. Le premier responsable de ce service, réservé depuis quelques temps à la prise en charge des malades atteints de Covid-19, réclame depuis près de 3 semaines un renforcement de ses effectifs. « Nous étions déjà en sous-effectifs. Nous continuons à prendre en charge les malades non-covid. Sans parler du personnel contaminé et obligé de rester à la maison », nous explique le Pr. Khalloufi.
En trois semaines, le chef du service de pneumologie a adressé une vingtaine de lettres au directeur général du CHU Ibn Rochd, avec copies adressées au premier responsable du secteur de la Santé de la wilaya, à savoir le DSP. Mais les correspondances du professeur sont restées lettres mortes. L’indifférence et le mépris des responsables du secteur de la Santé devant les doléances du chef de service qui réclamait des moyens humains et matériaux pour sauver des vies, ont poussé ce dernier à prendre une décision extrême : démissionner de son poste de chef et se consacrer à la prise en charge des malades admis dans son service.
Hier, ils étaient une vingtaine de soignants relevant du service de pneumologie à tenir un sit-in pour exprimer leur ras-le-bol de cette situation qui devient intenable.
« Il ne se passe plus un jour sans que l’on perde des patients, faute de moyens humains et matériels. Nous sommes débordés. Beaucoup d’entre nous ont été contaminés par la maladie et ne peuvent donc plus venir au service. On n’en peut plus ! », témoigne l’air fatigué une infirmière.
Il faut dire que les effectifs de ce service n’ont pas été épargnés par le virus. Huit infirmiers et infirmières et un médecin ont été contaminés par la Covid-19 en une semaine. Le taux d’occupation et de saturation du service atteint les 120%. Les consultations et les hospitalisations hors Covid-19 se poursuivent.
« Beaucoup de patients, censés être en réanimation restent au niveau de notre service par manque de places au niveau du service de réa qui ne compte que 16 lits. Lorsque le débit d’oxygène baisse, nous perdons des malades. Les patients meurent par manque d’oxygène », nous explique le Dr Bahloul Adel.
Le personnel est à bout de souffle. Sans parler du climat d’insécurité dans lequel évoluent les médecins et les paramédicaux.
« Mardi, le service des urgences de l’hôpital Dorban a été vandalisé, le lendemain c’était au tour de notre service (pneumo, NDLR) et le surlendemain, une assistante du service mitoyen au nôtre (les maladies infectieuses, NDLR) a été agressée par le parent d’un malade », témoigne une médecin du service avant d’expliquer « nous sommes en première ligne. Beaucoup d’entre nous sont tombés malades en essayant de soigner les patients. Des patients meurent par manque d’oxygène, de manque de réactifs et de personnel aussi. Nous sommes plus affectés que n’importe qui. Que pensez-vous qu’on ressent lorsque l’on se donne à fond, qu’on est épuisés et surmenés pour sauver une vie, lorsqu’on arrive à stabiliser l’état du patient et qu’on finit par le perdre à cause d’une coupure en oxygène ? Vous croyez que ça nous amuse ? C’est des coups durs pour notre moral. Malgré ça, on continue à essayer de sauver tout le monde. Pour au final, être agressé par les parents des personnes décédées ou de personnes qu’on ne peut hospitaliser par manque de place ». « Si les parents des malades pouvez voir et savoir… Mais nous n’en voulons pas aux citoyens. Nous les comprenons. Ce qu’on n’arrive pas à comprendre c’est pourquoi les autorités ne font rien pour assurer notre protection et notre sécurité ».
Le climat d’insécurité est en effet l’un des principaux problèmes posés par le Pr. Khalloufi, qui estime qu’il avait, en tant que chef de service, une responsabilité vis-à-vis des équipes travaillant dans son service, d’autant plus que la majorité de son effectif était composé de femmes.
« On ne savait plus où donner de la tête. Fallait-il se concentrer avec les patients, le manque de moyens ou bien avec les parents des malades qui entraient et sortaient comme bon leur semblait. Lors des agressions, souvent verbales, je ne savais plus si je devais protéger les malades, le personnel ou me protéger moi-même. Nous travaillons dans un climat d’insécurité, la peur au ventre ».
C’est une triple peur à laquelle sont confrontés les travailleurs de ce service. La peur de perdre des malades, la peur de contracter la maladie et de contaminer sa famille et ses proches et la peur d’être agressé physiquement.
Pour sa part, le DG du CHU a pris plusieurs décisions sans prendre la peine de les appliquer. Ainsi, plusieurs services auraient été mobilisés pour soutenir ceux qui sont au front depuis des mois déjà. Censés être fonctionnels depuis le 1er août, ceux-ci n’ont toujours pas pris en charge le moindre malade atteint de Covid-19, nous a-t-on révélé.
Les représentants du personnel et leur syndicat ont exposé leurs doléances au DG du CHU, lors d’une réunion tenue hier. Mais celle-ci n’a, pour le moment, aboutie à rien. Un second round de négociations serait prévu pour aujourd’hui, mais les travailleurs croient savoir qu’il ne s’agit là que d’une tactique pour absorber leur colère sans satisfaire la moindre de leurs revendications.
Nous avons tenté de prendre langue avec le directeur général du CHU, mais celui-ci n’était malheureusement pas disponible pour répondre à nos questions.