Par : Fatima Zohra Bouledroua
Les activités culturelles pour la célébration du soixantième anniversaire de l’indépendance se poursuivent à Annaba, avec un week-end dédié au 7ème art et à la mémoire nationale.
La direction de la culture et des arts de la wilaya de Annaba, en collaboration avec la cinémathèque et l’association culturelle « AJRAS » ont organisé deux projections débats des films documentaires du célèbre réalisateur et producteur algérien, Saïd Oulmi, retraçant les politiques répressives adoptées par la France coloniale contre le peuple algérien, à savoir : la déportation d’Algériens en nouvelle Calédonie et l’internement dans les camps.
En effet, c’est avec une vive émotion et une grande attention que le public annabi a découvert les deux films documentaires de Saïd Oulmi.
« Le retour » et « Sur les traces des camps » ont été projetés successivement jeudi et vendredi, suivis de débats en présence du réalisateur. Le wali de Annaba, Djamel Eddine Berrimi, accompagné du maire, de 3 directeurs de l’exécutif et quelques anciens moudjahidine, n’a pas manqué le RDV jeudi soir et a saisi l’occasion pour honorer Saïd Oulmi ainsi que 3 jeunes réalisateurs, ayant obtenu précédemment plusieurs prix nationaux et internationaux. Il s’agit de Abderrahmane Harat, Abdallah Bougherraf et de Mohamed Tahar Shawki Boukef. L’objectif est d’encourager les jeunes cinéastes, les sensibiliser au rôle du cinéma et de l’audiovisuel dans l’écriture de l’histoire et la préservation de la mémoire nationale. Pas mieux que Saïd Oulmi pour les inspirer !
« Le retour »
Le film documentaire « Le retour » relate neuf années durant lesquelles Saïd Oulmi a filmé le retour en Algérie de petits enfants de déportés algériens en Nouvelles Calédonie. La loi de 1854 instituant les bagnes coloniaux, puis le décret de 1863 instituant le bagne de la nouvelle Calédonie, démontrent la cruauté de la répression coloniale en Algérie. La politique de déportation exercée entre 1864 jusqu’à 1897 est une répression codifiée selon Saïd Oulmi. Un exil forcé contre les résistants du cheikh El Mokrani et cheikh El Haddad (pour les déportés de la nouvelle Calédonie) a déraciné des milliers d’hommes. « Le retour » a été réalisé suite à la diffusion en 08 épisodes de la série documentaire « Les témoins de la mémoire » à la télévision publique. Le réalisateur explique : « La série documentaire télévisée ‘’Les témoins de la mémoire’’ a fait connaitre au large public la cause des petits-enfants de déportés, l’appel lancé par la production dans le générique de la série a été largement entendu ». « Les petits enfants de déportés ont reçu des milliers de cartes postales de téléspectateurs algériens, ce qui les a poussés à vouloir se rendre au pays, pour retrouver les traces de leurs ancêtres » rajoute-t-il. C’est ainsi que Saïd Oulmi note le rôle de la télévision et du cinéma dans l’enseignement de l’histoire. Il insiste en s’adressant aux jeunes cinéastes sur l’importance de la recherche documentaire préalable et sur le cinéaste lui-même en tant qu’acteur assurant la continuité, réconciliation et relais intergénérationnel.
« Sur les traces des camps » !
Le vendredi a été réservé à la projection du film documentaire « Sur les traces des camps », un chef d’œuvre qui apporte des témoignages poignants sur l’histoire des 3 millions d’Algériens, soit 40 pour cent de la population de l’époque, qui se sont retrouvés dans des pénitenciers à ciel ouvert que sont les camps d’internement.
Saïd Oulmi est revenu dans le débat sur le rôle que devrait avoir la société civile dans la transmission de la mémoire nationale aux jeunes. Le directeur de la culture et des arts de la wilaya d’Annaba, le professeur Ahcène Tlilani, a rappelé la volonté de l’Etat algérien de préserver la mémoire nationale. Plusieurs intervenants parmi l’assistance ont noté l’absence de méthodes interactives dans l’enseignement de l’Histoire dans les écoles. Ils proposent l’utilisation de supports audiovisuels pour renforcer les programmes scolaires pour les trois cycles, un moyen efficace pour susciter l’intérêt et marquer les esprits des enfants et adolescents. « Le film documentaire sur les traces des camps est pédagogique et devrait être projeté dans les écoles et au niveau des universités », note docteur Hassina Bouchikh, journaliste et enseignante en audiovisuel à l’université d’Annaba.
Regard croisé
Le réalisateur est revenu sur les étapes de réalisation de ses films documentaires. Il explique que la mémoire nationale est une responsabilité qui incombe à tout cinéaste désirant se lancer dans une telle aventure. Pour ce faire, il est donc primordial d’adopter une approche scientifique. Il cite : « Cinq étapes sont nécessaires dans la réalisation de ces projets. La recherche du document en est la première. J’ai puisé ma recherche dans les archives militaires françaises de Vincennes et dans les rapports de la Croix rouge ». « J’ai interviewé de grands chercheurs ayant fait des études sur le sujet, J’ai aussi collecté plusieurs témoignes des victimes. Il ne faut pas hésiter de faire parler la mémoire, c’est-à-dire de déplacer les témoins vers les endroits et lieux où ils ont subi les atrocités » il conclut : « La dernière étape importante est de puiser dans l’archive audiovisuelle et les précédentes réalisations sur le sujet abordé ».
Saïd Oulmi a ciblé dans les deux documentaires le public algérien et les Français. Tenter de convaincre des antagonistes n’est pas une mince affaire. « Nous avons ouvert un dialogue entre Français et Algériens. Nous avons mené un regard croisé, en ayant comme axe principal de recenser, puis filmer des documents et témoignages auprès d’Algériens et Français impliqués dans la mise en œuvre de la politique coloniale », martèle-t-il. D’ailleurs, ce qui a marqué les esprits dans le documentaire sur les traces des camps sont les témoignages poignants pleins d’amertumes et de désolation du célèbre photographe des camps à l’époque, Français Marc Garanger, du psychiatre, Xavier Jacquie, ou du célèbre avocat Jacques Vergès, l’historien Benjamin Stora et l’homme politique Michel Rocard.
Et la suite !
Une nouvelle série de films documentaires « Cayenne, L’enfer » de Saïd Oulmi sera diffusée dans les mois qui viennent. Elle traite de la déportation d’Algériens en Guyane. La série est une production du ministre des Moudjahidine. Une autre série documentaire télévisée intitulée « L’histoire des camps rattrape la France coloniale » est prête.
A noter que le réalisateur Saïd Oulmi a occupé plusieurs postes à la télévision publique nationale entre 1994 et 2008. Cadre dirigeant, producteur, réalisateur et, tout récemment, chef de projet de la nouvelle chaine « Eddakira », la chaine de la mémoire nationale en 2020. Il collectionne les prix nationaux et internationaux dans le domaine du journalisme et de l’audiovisuel. Il réalisa plusieurs films documentaires scientifiques de vulgarisation portant sur plusieurs thématiques tels que : le sida, le tabagisme, les douleurs, l’autisme, la lutte contre la drogue qui lui a valu le prix du CNRS Paris. Dans le domaine de l’histoire et la mémoire nationale, il a réalisé des séries télévisées et films documentaires. Il a conçu et réalisé tous les téléthons de la télévision algérienne, à savoir : le téléthon sur l’Irak, Bab el Oued, Ain Timouchent… Il a également réalisé des talkshows qui ont marqué les Algériens, tel que ‘’koul chi moumkine’’, tout est possible ».
Le passage de Saïd Oulmi, cet homme qui contribue par le son et l’image à la conservation de la mémoire nationale, restera gravé dans la mémoire du public de la cinémathèque d’Annaba. Quel talent !