Actuellement en tournée à travers plusieurs villes algériennes, l’artiste M’barek Dekhla enchaîne les dates et les concerts en ce mois sacré de Ramadhan pour rencontrer son public.
Chanteur et musicien de malouf, il est aujourd’hui au sommet de sa carrière. Une carrière artistique de plus d’un demi-siècle qui n’a jamais cessé d’évoluer malgré des postes de responsabilités que cet ingénieur d’Etat en métallurgie, diplômé de l’université d’Annaba, a cumulé dans différentes entreprises économiques publiques. M’barek Dekhla a répondu à notre invitation et nous a accordé un entretien au siège du quotidien Le Provincial pour nous parler de sa tournée et pour lever le voile sur les secrets d’une longévité artistique exemplaire.
Le Provincial : Bienvenue au siège du Le Provincial. Vous enchainez depuis le troisième jour de Ramadhan les concerts dans plusieurs villes algériennes. Donnez-nous le calendrier de vos RDV ?
M’barek Dekhla : Merci pour l’invitation, j’en suis très heureux. Je suis fier et content de retrouver le public annabi, ce soir même, au palais de la culture Mohamed Boudiaf Annaba. Chanter à Annaba, c’est retrouver ce public merveilleux qui répond toujours présent. C’est la raison pour laquelle les artistes algériens aiment chanter à Annaba et pour Annaba. Effectivement, j’ai entamé la tournée le 25 mars à partir de Sétif, puis Khenchela, Mila, Tébessa. Je serai le 6 avril à Tipaza, puis Alger, Sidi Bel Abbes, Bordj Bou Arrerridj, Skikda, Biskra, Oum El Bouaghi, Batna, Oran, Ain Témouchent, pour finir le 18 avril à Alger.
Vous entretenez une relation particulière avec vos fans sur les réseaux sociaux, notamment Facebook depuis la période de la crise sanitaire de la Covid-19 ; jusqu’à quel point ce moyen de communication vous permet-il de consolider les liens avec votre public et avec les artistes algériens en général ?
Actuellement, Facebook est pour moi un support de communication intéressant. Il me permet la promotion de mes soirées. Je fais des vidéos pour annoncer mes RDV, des Facebook direct pour répondre aux questions des gens et j’en profite pour satisfaire leurs désirs et demandes, en chantant tel ou tel titre de mon répertoire personnel.
J’étais très actif sur Facebook durant la période de confinement sanitaire. J’ai pu rassembler beaucoup d’artistes autour de plusieurs projets. Et, comme j’ai pour principe de faire participer les artistes algériens dans les projets que j’initie, j’ai pu faire une nouvelle version de « Selli Houmoumek » avec une pléiade d’artistes et de musiciens. Nous avons entre autres rendu hommage à feu Hamdi Bennani, avec la participation de Kamel Benani et son frère Ali Bennani, Allah yerhmou. J’ai fait plusieurs projets innovants avec des artistes de Tlemcen, Alger, Skikda, Sétif, Boufarik, Biskra…etc. J’ai donc collaboré avec Lila Borsali, Samir Toumi, Karim Boughazi, Sabah El Andaloussia, Zahia Ben Zengli, Ahmed Chekat, Fateh Rouana, Kamel Benani, Fayçal Kahia… Ça avait très bien marché sur Facebook, nous avons atteint 400.000 vues.
Comment ces projets ont-ils démarré ? Et comment avez-vous pu fédérer autant d’artistes ?
C’était au cours de l’Aïd 2020, un grand chanteur de Haouzi, Karim Boughazi m’avait téléphoné pour les traditionnels vœux de l’Aïd, je lui ai proposé d’allier sa voix à la mienne et de proposer deux autres voix féminines pour un projet musical. De suite, nous avons contacté Imene Sahir et Zahia Benzengli pour faire « Ochak ezzine, saafou ma fel kalb hzin » avec la participation de plusieurs musiciens pour les arrangements. Le secret est qu’ils me font confiance, ils savent que le rendu sera de qualité. Je suis à l’écoute de ce qui se passe autour de moi et de mon public. J’ai même fait une chanson pour le peuple libanais lors de l’explosion du port de Beyrouth, elle a traversé les frontières et a fait un grand succès au Liban. C’était une période bénéfique du point de vue culturel ; dommage que nous avons perdu beaucoup de gens, nous en sommes attristés.
Vous avez été l’élève de Hassen El Annabi, qu’est-ce que vous avez pris de lui ? Et comment peut-on préserver sa mémoire ?
J’ai commencé l’école de musique en 1969, à l’âge de 8 ans avec le solfège, puis le violon. En 1971, Hassen el Annabi a rejoint l’école en sa qualité d’enseignant au grand bonheur des élèves et des parents. C’était pour nous un évènement important. J’ai donc fait partie de la première classe de musique andalouse de Hassen el Annabi. Je suis son premier élève avec mes camarades. Je chante donc le malouf depuis l’âge de 10 ans. Hassen el Annabi avait son style artistique, il avait une musique propre, toujours bien mis et bien habillé. Il donnait l’exemple. Cravate, parfum, bagues, montre… bien coiffé. Il a pu pénétrer dans la vie des gens plus aisés, même si lui était très aimable et humble, il allait chez tout le monde. Franchement, j’ai tout pris de Hassen el Annabi.
Lorsque j’étais directeur de l’office de la culture et du tourisme à Annaba, j’avais créé le festival Hassen el Annabi en 1996. C’était un festival national. Il a été arrêté à cause de la Covid-19. Ça doit reprendre !
Il faut créer une classe de la musique classique algérienne au sein de l’école municipale Hassen el Annabi que je propose de nommer « la classe Hassen el Annabi », et une autre classe au nom de « cheikh Bouhara » qui lui aussi était un enseignant à l’école de musique bien sûr.
Il n’y aurait-il pas risque de déperdition du patrimoine musical algérien avec toutes les nouvelles versions qui existent et les jeunes qui se lancent dans ce métier ?
Je précise qu’Annaba a enfanté beaucoup d’artistes dans le genre malouf, de grands artistes même. Je ne cite que deux Cheikh El Kourd et cheikh Hassen el Annabi qui ont marqué leurs passages dans la musique classique algérienne. Ce que les gens appellent la musique andalouse, moi je l’appelle « la musique classique algérienne ». Hassen el Annabi, on l’a connu. El Kourd est intouchable. Cheikh el Kourd, Hassen el Annabi et Mohamed Tahar Fergani à Constantine sont des phénomènes qui n’existent qu’une fois dans la vie.
Il faut éviter le conflit des générations. Il faut que les anciens soient contents qu’il y ait des jeunes dans le métier pour assurer la continuité, et les jeunes doivent être contents qu’il y ait des aînés pour leur apprendre le patrimoine. Par exemple : Koum tara est intouchable, mais ce morceau est interprété dans le monde entier de différente manière, qui détient la version originale ? Même les anciens ont appris de leurs aînés. Il y a toujours eu de l’innovation, Hassen el Annabi et Fergani ont apporté leur touche personnelle, ces deux ont tracé la route et ont montré que le malouf et en continuel progrès. Les gens les ont acceptés. Hassen el Annabi a appris de Hcen Khamar.
Je suis conser
vateur certes. Mais j’estime que tout est modernisable. Actuellement, le matériel est développé, on peut faire de belles choses. Tout récemment, j’ai publié des vidéos Aissaoui revisitées que le public a beaucoup aimé, je joue pour ce même public dans des fêtes et concerts les noubas classiques. On innove, mais on ne doit jamais oublier de chanter, jouer et transmettre « la musique classique algérienne » tout en restant à l’écoute de son public, des gens. Car j’estime que durant toutes ces années, j’ai évolué avec les gens et grâce à eux.
PRP/ Fatima Zohra Bouledroua.