Quinquagénaire anonyme sorti de nulle part, Youcef est un homme qui interpelle les consciences locales à El Milia. Ses interventions sur facebook par vidéos interposées qu’il ne cesse de tourner dans les multiples points noirs souillant cette ville tombée dans un total délabrement, ne passent plus inaperçues. La dernière en date est celle tournée dans l’un des endroits les plus sensibles de la ville.
C’est le square du centre-ville, baptisé au nom de Mohamed Saidani, l’héroïque fidaï de la guerre de libération nationale, qui a abattu, en janvier 1957, l’administrateur colonial dans son bureau de l’actuel siège de la daïra d’El Milia. Le choix de ce site est cette fois-ci symbolique, tant ce bureau où s’assoit quotidiennement le chef de daïra donne directement sur ce square encore plus abandonné que le reste de la ville.
Au-delà de cette énième vidéo qu’il diffuse dans une série de scènes qu’il ne cesse de tourner depuis quelque temps, l’homme met le doigt là où ça fait mal. Là où personne n’a pas pu réagir. Dans un langage simple, il s’adresse aux consciences locales. Aux élus locaux en premier lieu, mais aussi à la société civile et au citoyen qu’il rend responsables de la situation dramatique de cette ville.
Youcef a entamé ces interventions pour nettoyer la voie publique au niveau de son quartier de Zaher, au mois de juin dernier. Près de dix mois après son baptême de feu dans cette action, il multiplie ses sorties pour nettoyer et assainir tout espace auquel il peut accéder. Après son quartier, il a étendu son territoire, passant à la route menant à l’hôpital Bachir Mentouri où il s’est attaqué aux multiples immondices jonchant les trottoirs et obstruant les avaloirs.
Seul, avec son modeste matériel, il enlève les ordures et nettoie tout sur son passage. Il lance des appels aux autorités locales et aux citoyens pour venir l’assister dans son action. Mais peine perdue, puisque sa voix ne semble pas transpercer les murs du chaos qui entourent cette ville. Ni les multiples pages facebook qui ne font que reprendre et commenter les images répugnantes d’une ville en ruine, ni ces nombreuses associations de la société civile, ni même les simples citoyens n’ont pas daigné venir à son aide.
Tant bien que mal, l’homme continue son bonhomme de chemin et use de son verbe pertinent pour tenter de titiller ces consciences qui ne se réveillent plus. Youcef, et au-delà de l’image que certains font de lui, est un homme d’action. Au moins il est intervenu là où tout le monde a brillé par son absence. Il nettoie depuis plusieurs mois à Zaher, à l’hôpital, à la rue de Skikda, et près du CEM Emir Abdelkader lorsqu’il a participé à l’opération d’élagage des arbres.
Tout au long de ces interventions dans sa tunique qu’il porte pour marquer son action bénévole, il accroche sur les arbres et les murs des transcriptions appelant à l’entretien de la ville. Il en appelle surtout au civisme citoyen pour changer le destin décadent de cette ville. Dans sa dernière intervention, il est allé montrer l’état d’abandon du square Mohamed Saidani non sans faire une leçon d’histoire sur cette héroïque martyre de la glorieuse guerre de libération nationale. Le poumon vert de la ville, et à l’instar des autres sites et infrastructures manquant d’entretien, croule sous un dépôt d’ordures. Remuant ces immondices, il met à nu l’absence totale de tout entretien de cet espace. L’absence aussi des responsables et élus locaux qui font mine de ne rien voir.
S’emportant devant un tel abandon, Youcef s’est mis à interpeller le chef de daïra pour venir voir ce qui se passe juste en dessous de son bureau où l’administrateur colonial a été exécuté par le vaillant jeune fidaï, Mohamed Saidani. Dans son élan, l’homme s’est encore mis à gratter à mains nues les moisissures et les herbes sauvages qui souillent le mur de soutènement datant de l’époque coloniale. Juste à quelques pas en dessous du bureau du chef de daïra, ce square est à secourir. Toute la ville est à secourir aussi. Le tout est abandonné et livré à son tragique destin, alors qu’aucune des infrastructures existantes ne tient plus debout.
Les routes, les trottoirs, la salle de cinéma, l’ex-foyer de la jeunesse, le stade communal, les jardins publics sont tous dans le même. Abimés, ils nécessitent une entière réhabilitation. L’éclairage public n’est pas en reste, puisqu’il est défaillant partout, au centre-ville et dans tous les quartiers périphériques. Youcef est intervenu, non pas pour rappeler ce triste état qui fait couler beaucoup d’encre, mais pour inciter à l’action. À l’action de tous. En attendant que les projets retenus qui se font de plus en plus attendre soient lancés dans les meilleurs délais, l’urgence dans cette ville est signalée. Youcef a donné l’alerte par son verbe, ses écrits et son action.
La wali, Ahmed Meguellati, wali de la wilaya de Jijel, a promis plus de 20 milliards de centimes pour l’aménagement du centre-ville. D’autres montants sont attendus pour l’amélioration urbaine, alors que de nombreuses opérations sont bloquées dans les tiroirs d’une administration lourde et bureaucratique.
Par : Zouikri A