Alors que le commerce électronique en Algérie enregistre une croissance soutenue par les pouvoirs publics et l’essor des plateformes locales, il reste confronté à de nombreux obstacles.
Le commerce en ligne connaît un essor sans précédent en Algérie. Porté par l’évolution des usages numériques, le soutien étatique à la modernisation des paiements et l’émergence de plateformes locales, ce secteur représente aujourd’hui un levier économique majeur. Mais cette transformation reste freinée par des habitudes de consommation bien ancrées, un manque de sensibilisation à la sécurité numérique, et une recrudescence inquiétante des arnaques en ligne.
Une dynamique de croissance soutenue, mais encore fragile
Depuis l’introduction du e-paiement, l’Algérie a connu une progression visible dans le domaine du commerce électronique. Selon le Groupement d’Intérêt Économique de la Monétique (GIE Monétique), 475 sites marchands algériens proposent aujourd’hui des options de paiement en ligne. Le montant global des transactions effectuées par voie électronique dépasse les 37 millions de dinars, un chiffre encourageant bien que modeste au regard du potentiel national.
Des plateformes telles que Jumia Algérie, Ouedkniss, Batolis, Yassir Market ou Temtem One jouent un rôle clé dans la démocratisation de l’achat en ligne. À leurs côtés, des outils comme Bitakati, qui permet de recharger des cartes bancaires en ligne, ou MyTPE, qui offre aux commerçants une solution complète pour créer leur boutique virtuelle, facilitent l’intégration au numérique.
Cependant, cette progression reste entravée par une réalité tenace : près de 95 % des achats sont encore payés en espèces à la livraison. Cette pratique complique la logistique des opérateurs de transport, fragilise les modèles économiques des plateformes et freine la généralisation des paiements électroniques.
Un État moteur mais confronté à l’inertie du terrain
Face à ces résistances, l’État a adopté plusieurs mesures pour encourager la transition vers une économie numérique. La loi n°18-05 du 7 juin 2018 encadre désormais le commerce électronique et impose aux commerçants en ligne de proposer des moyens de paiement électroniques.
Dans le même esprit, la carte Edahabia d’Algérie Poste, lancée en 2016, permet aujourd’hui d’effectuer des transactions en ligne sécurisées. Plusieurs banques, comme la Société Générale, le CPA, la BDL ou la BNA, ont également multiplié la mise à disposition de terminaux de paiement électronique, y compris des modèles mobiles tels que le Smart Mobile KS8223 d’Algérie Poste.
Malgré ces efforts, l’adoption des TPE demeure limitée. De nombreux commerçants se montrent réticents à les utiliser, parfois par crainte d’un contrôle fiscal accru, parfois par simple manque de formation ou de confiance envers ces technologies. Du côté des consommateurs, la préférence culturelle pour l’usage du cash continue de dominer, au détriment de solutions plus modernes.
Un terrain propice aux dérives
Avec l’essor du e-commerce, un autre phénomène s’est amplifié : les escroqueries en ligne. Selon l’Organisation algérienne de protection et d’orientation du consommateur et de son environnement (APOCE), les cas d’arnaques liés au commerce électronique se multiplient, notamment via les réseaux sociaux.
Deux pratiques frauduleuses reviennent fréquemment. D’une part, certains consommateurs reçoivent des produits qui ne correspondent pas à leur commande, ou ne les reçoivent jamais malgré le paiement. D’autre part, il arrive que des vendeurs exigent des acomptes à l’avance, puis disparaissent sans honorer la transaction. Ces arnaques sont d’autant plus répandues qu’elles s’effectuent souvent à travers des pages commerciales fictives sur Facebook ou Instagram, où l’anonymat et l’absence de traçabilité jouent en faveur des fraudeurs.
Réguler pour protéger
Face à cette situation, l’APOCE, par la voix de son président Mustapha Zebdi, appelle à un encadrement plus strict du commerce en ligne en Algérie. Il estime qu’il est urgent de rendre obligatoire l’identification de tout vendeur actif sur Internet à travers un numéro unique de commerce électronique.
Il appelle également à renforcer le contrôle des plateformes numériques, en particulier des réseaux sociaux, devenus le principal théâtre des escroqueries. Il considère en outre que la protection du consommateur passe par une vaste campagne de sensibilisation à l’échelle nationale, destinée à mieux informer les acheteurs sur les pièges courants et les bons réflexes à adopter.
Mustapha Zebdi alerte : « Si cette croissance est encourageante, elle s’accompagne malheureusement d’une recrudescence des fraudes. Le manque de vigilance des consommateurs et l’absence de traçabilité des vendeurs sur les réseaux sociaux constituent une menace réelle pour la crédibilité du secteur. »
Un cadre juridique en place mais peu appliqué
Sur le plan légal, plusieurs textes sanctionnent les pratiques frauduleuses liées au commerce électronique. L’article 350 du Code pénal algérien prévoit une peine d’un à cinq ans de prison, accompagnée d’une amende allant de 20 000 à 100 000 dinars, pour tout acte d’escroquerie, avec une aggravation de peine lorsque ces faits sont commis via des moyens électroniques.
La législation sur la protection du consommateur et la répression des fraudes, notamment la loi n°09-03 du 25 février 2009, ainsi que la loi 04-15 sur la cybercriminalité, révisée en 2020, viennent renforcer ce dispositif juridique. Elles autorisent notamment les unités spécialisées de la Gendarmerie nationale et de la DGSN à intervenir en ligne pour traquer les auteurs d’infractions numériques.
Sensibiliser pour généraliser
Pour que le commerce électronique algérien puisse s’imposer durablement, plusieurs leviers doivent être activés. Il est indispensable de renforcer les campagnes de sensibilisation auprès des commerçants comme des consommateurs, afin de mieux faire connaître les outils numériques et les risques liés à leur usage.
L’amélioration de l’infrastructure technologique est également cruciale, car elle garantit une connectivité stable et la sécurité des transactions. Par ailleurs, les autorités gagneraient à proposer des incitations fiscales pour encourager l’adoption des TPE et des moyens de paiement électroniques.
Enfin, la régulation des vendeurs sur les réseaux sociaux doit devenir une priorité. La mise en place d’un système de traçabilité clair et transparent contribuerait à restaurer la confiance des consommateurs et à assainir un secteur promis à un grand avenir. On a hâte !
Par : Aly D