L’historien souligne l’ampleur inédite des tensions et plaide pour une reprise du dialogue politique entre Paris et Alger
Dans un entretien accordé hier à l’AFP, l’historien Benjamin Stora estime que le travail de mémoire autour de la colonisation de l’Algérie par la France est « indispensable », mais qu’il ne saurait à lui seul résoudre la crise profonde entre les deux pays. Depuis près de dix mois, les relations bilatérales traversent une période de tensions que Stora qualifie de « crise la plus importante depuis 1962 ».
Pour lui, le travail de mémoire est « un élément possible de sortie de crise », mais il insiste : « on ne peut pas régler par un seul discours, par un seul geste, des rapports qui ont duré 132 ans ». Il évoque six générations marquées par la colonisation et ses séquelles.
Selon lui, la relation franco-algérienne est marquée historiquement par des cycles de tensions et de réconciliations. Mais cette fois, la crise s’inscrit dans la durée, ce qui en fait un épisode « totalement inédit ». Il souligne que, des deux côtés, certains acteurs politiques ont intérêt à maintenir les tensions. Il cite, en France, Bruno Retailleau, qui a mené « une grande partie de sa campagne » à la présidence du parti Les Républicains en prônant « l’extrême fermeté » envers Alger. Et du côté algérien, il reconnaît l’existence de courants souhaitant « rompre le lien avec la France », même s’ils restent minoritaires.
Pour Stora, cette instrumentalisation politique perpétue « la flamme d’une mémoire douloureuse » et empêche toute cicatrisation. « On empêche la cicatrisation de la plaie » qui « se ravive à chaque fois », observe-t-il. Il n’exclut d’ailleurs pas que l’Algérie soit de nouveau un thème central lors de la prochaine élection présidentielle en France, comme ce fut le cas en 2007 avec Nicolas Sarkozy.
Selon lui, la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie reste vivace, même si elle est souvent enfouie : « C’est un peu comme des fantômes dans les placards. On a l’impression qu’on a tout fermé, qu’on a tout cadenassé, mais ça s’échappe quand même, la mémoire revient quand même ».
S’il ne prévoit pas de sortie rapide de la crise, même en cas de nouveaux gestes mémoriels de la part de Paris, Stora considère qu’il est peu probable que les deux pays aillent jusqu’à une rupture diplomatique formelle, notamment en raison de « l’imbrication profonde des deux sociétés
Il plaide ainsi pour une reprise du dialogue politique, estimant que « le point le plus important va être le problème de la circulation des personnes entre les deux rives ».
Par : S.A.B.