Près de soixante ans après sa sortie, le film de Gillo Pontecorvo continue d’inspirer les plus grands cinéastes et d’imprégner la culture populaire.
La Bataille d’Alger, devenu un film incontournable, s’est classé en 2025 à la 12e place de la liste des 300 films les mieux notés de tous les temps, établie par Rotten Tomatoes. Un signe, près de soixante ans après sa sortie, de l’influence intacte de ce chef-d’œuvre de Gillo Pontecorvo. De Paul Thomas Anderson à Quentin Tarantino, jusqu’à Tony Gilroy, un même écho traverse leurs œuvres : l’ombre de “La Bataille d’Alger”.
Présenté par les médias du monde entier comme l’un des sommets du néoréalisme italien, le film fascine depuis sa sortie en 1966. De nombreux cinéastes, de Stanley Kubrick à George Miller en passant par Christopher Nolan, l’ont cité comme une influence majeure, et il est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands films jamais réalisés.
De Venise aux Oscars : une reconnaissance fulgurante
Dès sa première projection, La Bataille d’Alger s’impose comme un événement cinématographique. Le film remporte le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1966 et connaît un rare parcours aux Oscars, nommé à deux reprises : d’abord pour le meilleur film en langue étrangère en 1966, puis pour le meilleur scénario adapté et le meilleur réalisateur en 1968. Une reconnaissance exceptionnelle pour une œuvre internationale à une époque où Hollywood ouvrait rarement ses portes aux productions venues d’ailleurs.
Mais ce succès n’a pas été universel. En France, la réception est glaciale, voire hostile. Certains critiques refusent d’assister à la projection vénitienne, dénonçant le regard accusateur que porte le film sur l’impérialisme français. La Bataille d’Alger, en raison de son contenu politique, est interdit un an en France avant d’être finalement distribué en 1971.
Un manuel de guérilla
L’impact du film dépasse très vite le cadre strict du cinéma. En 1968, le journaliste américain Jimmy Breslin le décrit comme un « film d’entraînement à la guérilla ». Cette lecture trouve un écho concret dans les décennies suivantes. En 2003, le New York Times rapporte qu’il est projeté au Pentagone devant des experts militaires et civils. Roger Ebert, dans sa rétrospective de 2004, souligne que le film avait été utilisé par des mouvements militants tels que les Black Panthers ou l’IRA pour instruire leurs membres.
Interdictions et réappropriations politiques
Produit en pleine ère de la décolonisation, La Bataille d’Alger a nourri l’imaginaire de nombreux mouvements anti-impérialistes, ouvriers et étudiants à travers le monde. Cela a conduit plusieurs régimes à l’interdire, craignant qu’il n’attise des rébellions. Ce fut le cas en Afrique du Sud sous l’apartheid, mais aussi au Brésil, en Iran sous le Shah, au Mexique ou encore en Uruguay.
Le film s’invite également dans des contextes inattendus. Lors du procès des Panther 21 à New York en 1971, un groupe de militants noirs accusés de complot pour poser des bombes, le procureur présente le film aux jurés pour prouver l’inspiration des accusés. Paradoxalement, les forces de l’ordre l’utilisent aussi, cherchant à adapter leurs propres tactiques à celles mises en scène par Pontecorvo.
La trace du film apparaît même dans la littérature. Romain Gary y fait référence dans “Chien Blanc” à travers le personnage de Lloyd Katzenelenbogen. Dans la musique, le groupe britannique In the Nursery incorpore des dialogues du film dans son morceau “Elegy” en 1987. Plus récemment, deux rappeurs algériens, Donquishoot et Diaz, ont réinterprété en 2016 la figure d’Ali La Pointe dans un clip en noir et blanc, liant la mémoire de la guerre d’indépendance aux fractures sociales contemporaines.
En 2004, le documentaire “Five Directors On The Battle of Algiers” accompagne la réédition du film en DVD. Spike Lee, Steven Soderbergh, Oliver Stone, Julian Schnabel et Mira Nair y racontent comment la mise en scène, le montage et le son de Pontecorvo ont influencé leur propre cinéma. Ce regard croisé confirme l’universalité du film, étudié aussi bien dans les écoles de cinéma que dans certaines institutions militaires. En effet, il a longtemps été projeté à l’École des Amériques, au Panama puis aux États-Unis, dans le cadre de formations aux guerres de type révolutionnaire, parfois à contre-emploi de son message initial.
Une influence persistante sur le cinéma mondial
L’influence artistique du film reste colossale. En 2023, La Bataille d’Alger est classé premier sur la liste des 100 films politiques les plus marquants de tous les temps par The New Republic. En 2025, Rotten Tomatoes le place 12e parmi les 300 films les mieux notés de l’histoire.
Son empreinte est visible jusque dans les grands films contemporains. Paul Thomas Anderson l’assume pleinement : dans “One Battle After Another”, son dernier film, une séquence clé montre Bob, interprété par Leonardo DiCaprio, regardant La Bataille d’Alger à la télévision avant d’être happé dans le drame de l’intrigue. Le réalisateur n’a jamais caché que ce choix était un hommage direct, allant jusqu’à recommander de revoir le film de Pontecorvo comme préparation à son œuvre.
Quentin Tarantino, lui, en reprend l’univers sonore. Dans “Inglourious Basterds”, le morceau “Algeri : 1er novembre 1954”, composé par Ennio Morricone pour le film, est utilisé lors du recrutement du sergent Hugo Stiglitz. Une filiation assumée, renforcée par la collaboration ultérieure entre Tarantino et Morricone sur “Les Huit Salopards”.
Dans un autre registre, Tony Gilroy s’est inspiré du film pour écrire et réaliser la série “Andor”, dans l’univers Star Wars. La trajectoire de Cassian Andor rappelle celle d’Ali La Pointe, passant d’outsider à combattant rebelle avant une fin tragique. La ville de Ferrix, où se concentre l’action, semble directement calquée sur Alger, et la structure narrative de la série reprend les allers-retours entre forces impériales et résistance. Le final de la première saison évoque puissamment le soulèvement qui, dans la réalité, mena l’Algérie vers son indépendance.
Une actualité toujours brûlante
À l’aube de son 60e anniversaire, La Bataille d’Alger demeure une référence culturelle et politique. Son réalisme cru, sa capacité à représenter à la fois l’oppression coloniale et la lutte pour la liberté, continuent d’en faire un outil de réflexion autant qu’une source d’inspiration artistique. Des cinéastes de renom aux mouvements militants, en passant par les musiciens et les écrivains, l’œuvre de Pontecorvo n’a cessé de traverser les époques et les disciplines.
Six décennies après, son pouvoir d’évocation reste intact. Le film continue d’être étudié, projeté et débattu, autant pour ses qualités artistiques que pour son regard sans concession sur le colonialisme. Mais surtout, il demeure une source d’inspiration pour certains des plus grands cinéastes contemporains, qui trouvent dans ce récit d’Alger assiégée une puissance dramatique universelle.
Par : Aly D
