Par : M. Rahmani
L’odyssée de Novembre, qui a duré près de 8 années de lutte, de souffrances et de sacrifices extrêmes, a enfanté de grands hommes qui l’ont portée aux nues, certains sont célèbres et sont glorifiés en toute occasion, d’autres le sont moins, des milliers d’anonymes mais qui font partie de cette génération d’Algériens qui s’est élevée comme un seul homme face à l’occupant. Et pour une fois c’est le pot de terre qui a remporté la victoire face au pot de fer.
Dellalou Hocine
Parmi ces grands hommes, M. Dellalou Hocine, natif de la ville d’Annaba, qui a rejoint à 15 ans les rangs de l’ALN en 1957, son recrutement s’est fait en France à Paris où il était parti retrouver ses amis, après un test très dur où il devait abattre un traître mais l’arme confiée par le FLN de France s’était enrayée, il dut finir le travail en donnant une tannée à l’adversaire désigné.
Identifié et recherché par la police, il dut embarquer vers l’Algérie pour se retrouver à Annaba où il était déjà identifié par les services comme étant un criminel. Il dut fuir et rejoindre la base de l’Est en Tunisie, alors sous le commandement de feu Chadli Bendjedid. De là, il acheminait les armes vers l’intérieur du pays pour les moudjahidine pour ensuite tomber plus tard dans une embuscade tendue par l’armée française. Il fut blessé et se retrouva à l’hôpital à Ghardimaou. Remis de ses blessures, il devait rejoindre la wilaya II armé d’une mitraillette et accompagné d’un commando, mais la traversée de la frontière était fort périlleuse et encore une fois, le groupe fut pris dans une embuscade et ne dut son salut qu’à l’intervention de la compagnie de Mohamed Betchine. Blessé, il fut évacué à l’infirmerie du Kef. A l’époque, Boussouf était en Tunisie en quête d’éléments capables de renforcer le MALG (ministère de l’Armement et des Liaisons générales).
Plusieurs moudjahidine seront choisis pour rejoindre l’école des cadres de l’ALN ouverte en la circonstance à El Kef, Hocine Dellalou fut choisi parmi ces derniers et fit partie de la formation sur des transmissions. A l’issue de la formation, il sera muté dans la zone Nord, au 56ème bataillon sous le commandement de Amar Chekal. Parti en mission à Tripoli, puis à Tunis, il sera muté plus tard dans la zone Sud de Tébessa jusqu’à Oued Souf et toute sa région en 1960. Il était investi de 2 missions principales, à savoir le renseignement et l’interception des messages ennemis pour éventuellement les décoder.
Après l’indépendance, il sera démobilisé de l’Armée en 1964 pour occuper quelques années plus tard le poste de directeur des transmissions de la wilaya de Jijel avant de revenir s’installer définitivement à Annaba où il décéda le 13 mai passé.
Lakhdara Khodja
En ces années où l’occupant français usait et abusait de sa force pour ses “opérations de pacification “, lançant ses troupes contre des populations sans défense pour “mater” une révolution qui a touché toutes les régions du pays, une guerre qu’on ne voulait pas reconnaître comme telle, des hommes et des femmes, qui étaient devenus étrangers dans leur propre pays, ont mené un combat et une lutte pour laquelle ils se sont sacrifiés, ont sacrifié les leurs et ont tenu face à une machine de guerre qui détruisait tout sur son passage. L’Algérie meurtrie et ensanglantée résistait par la volonté de ses enfants, par cet esprit de liberté qui a conquis tout un peuple et dont les vents de la Révolution en dessinaient les contours pour forcer les portes de l’indépendance emprisonnée par le fer et par le feu.
Parmi ces hommes qui ont rêvé de cette indépendance, qui ont combattu pour elle et qui ont tenu face à toutes les humiliations, à toutes les formes de torture et à une justice expéditive, M. Lakhdara Khodja, aujourd’hui décédé, ses faits d’armes à Annaba, ses actions, ses relations et son combat sont reconnus par tous et sont cités en exemple. Cela remonte au début des années 40, au port de Annaba, les armes étaient à portée de main avec la seconde guerre mondiale qui faisait rage, il n’y avait alors qu’à se baisser pour en ramasser. A l’époque, militant du MTLD, Khodja était chargé de sensibiliser les populations aux thèses du parti visant au recouvrement de l’indépendance. Les armes circulaient et se vendaient en cachette dans les souks, le code était “djadja bi flalissha” (une poule avec ses poussins), cela veut dire une arme à feu avec munitions. Puis ce fut l’OS, l’homme était parmi les rares personnes qui avaient souscrit à s’occuper toujours de sensibilisation pour préparer les habitants de la région de Annaba à soutenir l’action des nationalistes. En 1957, il était membre actif du FLN ; le premier contact avait eu lieu une année avant parce qu’il était connu dans les milieux nationalistes comme étant quelqu’un qui adhérait totalement à la cause. Si Soltane était le responsable militaire de la région de Annaba, il l’avait recruté comme fidai et était chargé, dans un premier temps, de rechercher une personne qui avait fui le maquis et qui allait divulguer aux services français l’identité des moudjahidine stationnés dans les monts de l’Edough et à Ras El Hamra. La personne en question était restée introuvable malgré les recherches entreprises par 6 fedaine affectés à cette opération.
Khodja tenait à l’époque un kiosque de tabacs et journaux, juste à côté de l’Église Sainte Anne, à La Colonne (aujourd’hui la mosquée El Forkane), il avait comme clientèle des Français habitant le quartier mais aussi des militaires et, de la sorte il pouvait collecter des renseignements concernant les mouvements des troupes et des services de police. Puis, ce fut le passage à l’action ; cela avait commencé par l’arrivée de M. Trema Mohamed Tahar, un Algérien qui a fait la guerre d’Indochine accompagné d’un lieutenant de l’armée française. Trema lui avait remis un cabas plein de grenades devant cet officier qui n’avait pas bronché, Mohamed devait le tenir, je ne savais pas comment, mais il devait certainement lui devoir quelque chose. Entretemps, Si Soltane avait été arrêté et une des casemates d’Oued Kouba avait été découverte et détruite. Rizzi Amor avait alors remplacé Si Soltane pour prendre en main les opérations. La cave de la maison où il habitait et qui existe encore aujourd’hui à la rue Jean Jaurès à Annaba, servait de dépôt d’armes et de munitions. Lakhdara fournissait les 6 fidaine qu’il avait sous sa responsabilité avant chaque opération que feu Rizzi Amor ordonnait. La première opération qu’ils avaient exécutée a eu lieu sur la plage Saint Cloud en septembre 1958, les fidaine avaient tiré sur un groupe de Français sur la plage, 1 mort et une dizaine de blessés ont été dénombrés. Repli, retour et attente de nouveaux ordres qui ne tardèrent pas puisque quelques jours plus tard, vers la fin du mois de septembre, ils avaient exécuté 2 traîtres, l’un était adjoint au maire de Randon et l’autre était juge au tribunal de Annaba et servait la justice de l’occupant. Il y a eu tellement d’opérations et d’attentats à l’époque ; il y avait au moins un attentat par mois qui visait les militaires, mais aussi les bars et les cafés où il y avait affluence et une forte concentration de Français. L’attentat du boulodrome du square Randon, aujourd’hui jardin public dit “djnaina de la Colonne” où il y a eu 3 morts, une opération à laquelle ont participé Mohamed “Négresse”, Abdelkader Daâmèche et Zerrouki Abdelkader. Khodja surveillait les alentours armé d’un 9 mm. Il était en quelque sorte chargé de sécuriser les lieux pour permettre aux fedaine qui l’accompagnaient de réussir l’opération.
L’autre action réussie est celle de la Kermesse, près de l’église Sainte Anne à La Colonne. L’opération et le repli dans une maison juste en face qui appartenait à un dentiste et qui était à louer étaient bien préparés. Seulement, entretemps Khodja avait été arrêté mais l’opération a quand même eu lieu. C’était en juillet 1961, il y eut 5 morts et 85 blessés,
De la prison il avait été emmené dans un camp dit de triage où il a séjourné pendant un certain temps. Il avait été ensuite transféré à La Casbah avant d’être jeté dans une cellule à Bordj Naama. Abdelkader Zerrouki avait été lui aussi arrêté et ils avaient été condamnés en première instance tous deux à 20 ans de réclusion criminelle. Au procès en cassation, Il avait été condamné à mort. A la caserne de La Casbah, il avait subi les pires sévices, une torture extrême surtout au 2ème Bureau à côté du café Echaâb, près du 1er arrondissement de police actuel.
Il n’avait dû son salut qu’au passage d’un juge qui avait ordonné de surseoir à son exécution et il resta en prison jusqu’en mai 62 pour être ensuite transféré à Marseille avec 25 autres condamnés à mort. C’était en plein mois de Ramadhan et ils étaient en tout, près de 400 venus d’Algérie. Le retour au pays, après 45 jours a été à la prison de Lambèse avant sa libération définitive. Aujourd’hui, comme vous le voyez, j’ai tous les documents qui attestent de ma participation active à la guerre de libération nationale. Je l’ai fait pour l’Algérie, je n’ai pas de pension et je ne demande rien. Je témoigne ici pour l’Histoire, pour la postérité pour nos enfants, pour leur faire comprendre, pour leur expliquer que leurs aînés se sont sacrifiés pour ce pays qu’ils doivent à leur tour protéger et défendre.”