« J’ai prévenu le Président Macron qu’il faisait une grave erreur sur le Sahara occidental », a dit le président de la République au sujet d’un des derniers conflits de décolonisation dans le monde.
Le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, s’est exprimé hier dans un long entretien accordé au journal français l’Opinion, où il a abordé diverses questions en relation avec l’actualité nationale et internationale. Les relations diplomatiques avec la France, le Sahara occidentale, la question de la normalisation avec Israël, le volet mémorial, le rôle de la grande Mosquée de Paris, l’affaire Sansal ….sont autant de points abordés par le président Tebboune dans cet entretien porteur de beaucoup de messages. « J’ai prévenu le Président Macron qu’il faisait une grave erreur sur le Sahara occidental », a dit le président de la République au sujet d’un des derniers conflits de décolonisation dans le monde. Le soutien apporté par la France au pseudo «plan d’autonomie» marocain pour le Sahara occidental est « une grave erreur », a-t-il affirmé à l’Opinion, rappelant au président Macron les obligations de son pays, membre permanent du Conseil de sécurité de ‘’ONU, supposé garant de la légalité internationale.
«Nous avons parlé avec le président Macron pendant plus de 2 heures 30 en marge du sommet du G7 à Bari, le 13 juin dernier. (…) Il m’a alors annoncé qu’il allait faire un geste pour reconnaître la ‘‘marocanité’’ du Sahara occidental, ce que nous savions déjà. Je l’ai alors prévenu : ‘‘Vous faites une grave erreur?! Vous n’allez rien gagner et vous allez nous perdre’’, a déclaré le président Tebboune. Il a relevé, dans ce contexte, que « la Cour internationale de Justice a dit (dans un avis consultatif rendu en 1975) qu’il n’y avait aucun lien de tutelle entre le Sahara occidental et le Maroc, si ce n’est des relations économiques», et que la justice européenne, à son tour, «reconnaît progressivement les droits des Sahraouis ».
Le président de la République a assuré, par ailleurs, que l’Algérie est «dans la réaction» avec le Maroc. « Le Maroc a été le premier à vouloir porter atteinte à l’intégrité de l’Algérie avec son agression en 1963, neuf mois après l’indépendance, une agression qui a fait 850 martyrs», a-t-il rappelé. Il a déploré, à ce propos, les «visées expansionnistes» qu’a toujours eues le Maroc, citant pour preuve, la reconnaissance tardive de la Mauritanie.
Et d’ajouter : «Nous leur avons (autorités marocaines, NDLR) récemment interdit le survol de notre espace aérien parce qu’ils réalisent des exercices militaires conjoints avec l’armée israélienne à notre frontière, ce qui est contraire à la politique de bon voisinage que nous avons toujours essayé de maintenir», a-t-il expliqué, insistant sur le fait que «le peuple marocain est un peuple frère pour lequel nous ne souhaitons que le meilleur».
«L’instauration de l’Etat palestinien est notre seule préoccupation»
Evoquant le conflit au Proche-Orient, le président de la République a affirmé que « l’Algérie serait prête à normaliser ses relations avec Israël le jour même où il y aura un Etat palestinien».
« Mes prédécesseurs, les présidents Chadli et Bouteflika, que Dieu ait leurs âmes, avaient déjà expliqué qu’ils n’avaient aucun problème avec Israël », a-t-il souligné, insistant sur le fait que « notre seule préoccupation, c’est l’instauration de l’Etat palestinien». Il a signalé, dans ce même contexte, que l’Algérie a réussi à faire reconnaître la Palestine par 143 Etats de l’ONU comme membre à part entière. Concernant la Syrie, le président de la République a rappelé avoir voulu, au sommet de la Ligue arabe à Alger en 2022, réintroduire la Syrie au sein de l’instance.
«Deux pays s’y sont opposés alors qu’ils ont invité le président Bachar el Assad au sommet suivant à Riyad. Il n’y a pas toujours de solidarité dans le monde oriental. Pour le reste, nous avons toujours parlé à l’ex-président syrien tout en étant ferme avec lui. Nous n’avons jamais accepté les massacres contre son peuple», a-t-il poursuivi. S’agissant de la situation au Sahel, le président de la République a déploré le fait que «les Etats du Sahel, comme beaucoup d’autres pays africains, (n’aient) pas réussi à construire des institutions solides et plus résilientes ». Concernant le Mali, il a indiqué que l’Algérie avait un plan de développement pour le nord du pays qu’elle était prête à financer « à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars ».
De même qu’elle était disponible à rassembler les signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, dénoncé l’année dernière par Bamako, assurant que « l’Algérie ne cherche pas à administrer le Mali que nous considérons comme un pays frère pour lequel notre main sera toujours tendue». Évoquant les relations avec la Chine, le président de la République a affirmé : « nous avons une longue amitié ». Concernant les relations algéro-italiennes, il a précisé que «contrairement à l’extrême droite française, nous avons d’excellentes relations avec la droite radicale italienne, d’autant que nous n’avons aucun contentieux, ni mémoriel, ni autre.
« Nous perdons du temps avec le président Macron »
L’Italie a toujours été un partenaire très fiable». Pour ce qui est des relations avec les Etats-Unis, le président Tebboune a estimé qu’elles étaient «restées bonnes avec tous les différents présidents américains, qu’ils soient démocrates ou républicains ». Aussi, la question des relations entre Alger et Paris ont occupé une large partie de l’entretien accordé à l’Opinion. Le président de la République a, à ce propos, affirmé que les déclarations hostiles de politiques français à l’encontre de l’Algérie ont engendré un climat délétère qui a contribué à la détérioration des relations algéro-françaises. «Le climat est délétère, nous perdons du temps avec le président (Emmanuel) Macron.
Nous avions beaucoup d’espoirs de dépasser le contentieux mémoriel. C’est pour cela que nous avons créé, à mon initiative une commission mixte pour écrire cette histoire qui nous fait encore mal », a-t-il indiqué. « Et pour dépolitiser ce dossier, j’ai même reçu deux fois l’historien Benjamin Stora (qui) a toute mon estime et réalise un travail sérieux avec ses collègues français et algériens sur la base des différentes archives, bien que j’aie déploré que l’on n’aille pas assez au fond des choses», a-t-il souligné. Il a aussi rappelé avoir établi «une feuille de route ambitieuse» après la visite en août 2022 du président Macron, suivie de celle d’Elisabeth Borne, alors Première ministre, qu’il a qualifiée de « femme compétente connaissant ses dossiers ». « Mais, plus rien n’avance si ce n’est les relations commerciales », a-t-il fait observer.
Et de préciser : « le dialogue politique est quasiment interrompu.» Dans le même contexte, le président de la République s’est «interrogé sur la manière dont Mme Le Pen va s’y prendre si elle parvient au pouvoir: veut-elle une nouvelle rafle du Vel d’Hiv et parquer tous les Algériens avant de les déporter ?». Interrogé sur sa disposition « à reprendre le dialogue à condition qu’il y ait des déclarations politiques fortes», le président de la République a répondu: « Tout à fait. Ce n’est pas à moi de les faire. Pour moi, la République française, c’est d’abord son Président ». « Il y a des intellectuels et des hommes politiques que nous respectons en France comme Jean-Pierre Chevènement, Jean- Pierre Raffarin, Ségolène Royal et Dominique de Villepin, qui a bonne presse dans tout le monde arabe, parce qu’il représente une certaine France qui avait son poids», a-t-il relevé.
« Les accords de 1968 sont une coquille vide »
Par ailleurs, à une question sur la dénonciation des accords de 1968 de la part de plusieurs politiques français, le président de la République a estimé qu’il s’agit d’ « une question de principe ». « Je ne peux pas marcher avec toutes les lubies.
Pourquoi annuler ce texte qui a été révisé en 1985, 1994 et 2001 », s’est-il interrogé. Il a précisé à ce propos, que « certains politiciens prennent le prétexte de la remise en cause des accords pour s’attaquer à ces accords d’Evian qui ont régi nos relations à la fin de la guerre. Ces accords de 1968 sont une coquille vide qui permet le ralliement de tous les extrémistes comme du temps de Pierre Poujade ».
Interrogé sur « l’influence de l’Algérie à la Grande Mosquée de Paris », le président de la République a expliqué que « l’Etat algérien n’a pas voulu laisser des associations douteuses faire de l’entrisme à la Grande Mosquée et a toujours pris en charge son entretien ».
Il a rappelé à ce propos, que lorsque il était ministre de la Communication et de la Culture, il avait « instauré ces aides (qui) servent notamment à rénover les bâtiments », soulignant que la France officielle n’a jamais fait d’objection et se rend régulièrement aux invitations du recteur ». Il a ajouté dans le même sillage que « la Grande mosquée n’est pas une officine » et que « le recteur actuel, Chems-Eddine Hafiz, a été choisi de manière concertée avec son prédécesseur, Dalil Boubakeur, et l’Etat français ».
Akram Ouaddah