Par : R.C.
Le procureur de la République, près le tribunal d’Annaba a requis, ce lundi 6 juin, une peine de 6 mois de prison avec sursis, assortie d’une amende pour l’ensemble des 9 accusés dans l’affaire de la prétendue « fête satanique », organisée dans la soirée du jeudi 26 mai 2022. Le juge rendra son verdict le 13 du mois en cours.
Lors de ce procès qui s’est terminé vers 19h30, quatre femmes étaient accusées de l’« exercice d’une activité ou profession réglementée soumise à inscription au registre du commerce sans l’autorisation ou l’agrément requis » et d’avoir « offert de manière illicite des stupéfiants ou des substances psychotropes à une personne en vue de sa consommation personnelle », conformément aux articles 40 de la loi n° 04-08 relative aux conditions d’exercice des activités commerciales et 13 de la loi n° 04-18 relative à la prévention et à la répression de l’usage et du trafic illicites de stupéfiants et de substances psychotropes. Cinq autres individus sont accusés de consommation de drogues.
« L’affaire du siècle »
Suite à une « correspondance officielle » reçue par la Sûreté de wilaya d’Annaba, près d’une centaine d’éléments de la police ont, après obtention d’un mandat de perquisition pour « démantèlement d’une secte satanique », débarqué au niveau d’une villa située au niveau du quartier résidentiel de Sidi Aissa où ils espéraient prendre en flagrant délit les « adorateurs de Satan ». Sur place, les policiers ont été surpris de trouver 79 « fêtards » qui s’étaient donnés rendez-vous sur le bord de la piscine de ladite villa pour une soirée de musique électro (la même musique produite par le célèbre DJ Snake). Une DJette oranaise, connue dans le monde de la musique électro dont raffolent les jeunes, était en déplacement à Annaba. Ses fans qui avaient vu sur les réseaux sociaux des photos de son séjour touristique dans la ville de Sidi Brahim l’avaient contactée pour lui demander d’organiser un événement musical à Annaba. « C’est de là que l’idée d’organiser une fête à Annaba a commencé », a indiqué la DJette face au juge. A peine la soirée avait-elle commencé qu’un impressionnant dispositif des forces de l’ordre avait débarqué pour interrompre la « rave party ».
La DJette, une amie à elle, la propriétaire de la villa et sa fille ainsi que 75 autres personnes avaient été arrêtées et transférées au commissariat central. L’ensemble des participants à la fête ont été auditionnés pour organisation et/ou participation à une fête satanique et des procès-verbaux ont été établis dans ce sens. Parmi les convives, trois jeunes ont été arrêtés en possession de joints (cigarettes contenant de la résine de cannabis) et deux autres en possession d’un comprimé d’ecstasy. Ils ont été placés en garde à vue pendant 72 heures, en compagnie de la DJette et de la fille de la propriétaire de la villa. Par ailleurs, un morceau de kif de moins de 5 grammes, un comprimé d’ecstasy et un autre de « Lyrica » ont été retrouvés lors de la fête. Déçus, de nombreux policiers ont affirmé qu’ils pensaient tenir l’affaire du siècle et trouver des « adorateurs du diable » en plein « rite satanique ».
« Justifier une intervention ratée »
Lors des plaidoiries, le collectif de défense des accusés a dénoncé une « chasse aux sorcières » et une tentative de justifier une intervention policière « ratée ». « Près d’une centaine de policiers ont été mobilisés, des gardes à vue, le transport des forces de l’ordre… tout ça pour deux malheureux comprimés de psychotropes et un petit morceau de kif traité. Face à un tel ratage, la police se devait de justifier une telle opération, en montant des dossiers vides et sans preuves à l’encontre des accusés », a dénoncé face au juge l’un des avocats de la défense. Dans le même sens que son confrère, une autre avocate a affirmé que cette quantité était à peine suffisante pour la consommation personnelle d’un seul individu.
Les avocats de la défense ont par ailleurs démontré, preuves matérielles à l’appui, que les organisateurs de la soirée dansante n’avaient aucun lien avec les stupéfiants. « Les PV de la police montrent clairement des photos sur lesquelles on voit les organisateurs fouiller les sacs des femmes à l’entrée. Tout a été fait pour empêcher que des personnes puissent entrer avec des stupéfiants ou autres objets interdits », a affirmé devant le juge maitre Adel Messaoudi, l’un des avocats de la défense. Par ailleurs, sur le « règlement intérieur » de la soirée, publié sur les réseaux sociaux et envoyé aux convives, on pouvait clairement lire que « la possession de drogues, d’armes ou d’autres objets prohibés était formellement interdite » et que les organisateurs n’hésiteront pas à « faire appel aux forces de l’ordre » en cas d’entorse à cette règle. Le même avocat a affirmé que les dispositions de l’article 40 de la loi n° 04-08 ne pouvaient s’appliquer dans ce cas, puisque la pratique de l’art et de la musique n’est pas considérée aux yeux de la loi comme étant une « activité ou profession réglementée soumise à inscription au registre du commerce ».
S’exprimant sur l’affaire du « satanisme », le juge a affirmé qu’il s’agissait de « rumeurs » et non pas d’« accusations », dans la mesure où le parquet avait, lors de la présentation des accusés requalifié les faits et rejeté ce chef d’accusation saugrenu qui, plus est, n’est pas prévu par la législation algérienne.