En marge du Festival national de la production théâtrale féminine d’Annaba, Le Provincial s’est entretenu avec le Dr. Youcef Zafan, professeur de critique et de théorie dramatique à l’institut supérieur des métiers des arts du spectacle. Youcef Zafan qui a animé l’atelier de l’écriture dramatique lors du festival, a partagé avec nous sa vision sur les enjeux du texte dramatique en Algérie ainsi que sur le rôle que le festival peut jouer dans la présence des femmes dans le théâtre.
« La formation est la clé »
Interrogé sur la situation du texte théâtral algérien, le Dr Youcef considère qu’il ne faut pas la réduire à un problème ” en tant qu’enseignant un problème, est avant tout une solution à construire “, indique-t-Il. Selon lui, il est plus pertinent d’aborder ce sujet en mettant l’accent sur le potentiel à exploiter et les moyens d’améliorer la situation.
Le Dr Zafan souligne que l’enjeu quantitatif (nombre d’auteurs) prend souvent le pas sur le questionnement de la qualité des textes.
Il estime que l’Algérie possède un important capital humain – une jeunesse dynamique et une expérience précieuse – qu’il convient de valoriser par une formation concrète et un accompagnement ciblé des talents émergents. “
L’Algérie est un grand pays avec une jeunesse et une expérience abondantes. Nous devons tirer parti de ce capital pour enrichir notre théâtre “, insiste-t-il. Les nouvelles technologies et la mondialisation influencent l’écriture dramatique, à l’instar d’autres disciplines telles que le roman ou le conte, et la clé pour relever ces défis réside dans une éducation artistique de qualité.
Ainsi, plutôt que de parler de « manque » ou de « crise », le Dr Zafan préfère mettre en avant l’opportunité de bâtir l’avenir en s’appuyant sur l’héritage culturel algérien et en investissant dans la formation.
Le Festival : Un tremplin pour la créativité féminine
Selon le professeur l’objectif principal de ce festival, est non seulement de faire de la femme le sujet principal du théâtre, mais aussi encourager davantage l’accès de la femme à ce monde, à cet art noble. L’un des buts majeurs est d’inciter les femmes à occuper des rôles clés dans l’univers théâtral : au-delà de la scène, il s’agit de favoriser leur implication dans l’écriture dramatique, la mise en scène et la scénographie.
« On constate que le théâtre national compte de bonnes comédiennes connues au niveau national et international, mais il y a un déficit de dramaturges, de metteuses en scène et de scénographes f », souligne-t-il.
Pour lui, la démarche du festival n’est pas d’exclure les hommes, mais de donner à la femme une place centrale. Les hommes peuvent toujours collaborer et écrire pour la femme, mais l’enjeu est de permettre aux femmes d’occuper les postes traditionnellement sous-représentés en valorisant l’ensemble des talents féminins, afin qu’un jour, un spectacle entièrement conçu par des femmes puisse voir le jour.
Écrire pour une femme : une affaire de sensibilité ?
Lorsqu’on lui demande si une femme peut écrire « mieux » sur les sujets qui la concernent, le Dr Zafan répond avec nuance : « C’est relatif… la femme possède une sensibilité et une vision du monde que l’homme n’a pas. Lorsqu’il s’agit de parler d’elle, elle est souvent mieux placée. »
Cependant, il défend une écriture ouverte et affirme que des hommes écrivent également superbement sur la femme, et vice versa. L’important, selon lui, est de multiplier les perspectives.
La diversité des points de vue, tant féminins que masculins, enrichit la compréhension mutuelle au sein de la société. Il ajoute que l’écriture féminine se distingue par des particularités esthétiques liées à une sensibilité propre, sans pour autant exclure la contribution des hommes. L’essentiel est d’amplifier les voix pour que le théâtre reflète la richesse et la diversité de notre société.
Vers une pièce co-écrite et montée par les stagiaires des ateliers
Lors du festival, le Dr Zafan a animé un atelier d’écriture dramatique au cours duquel une nouvelle méthode a été introduite, « script doctor », empruntée au domaine cinématographique, en travaillant sur le texte de la pièce « El Jebana » – écrite et mise en scène par Atef Kerim – qui a été analysé et déconstruit pour être réécrit.
Quant à cette méthode le docteur Zaafan a salué l’initiative qui a permis d’aborder un texte en présence de son auteur.
« C’est une bonne expérience, qui nous a offert une nouvelle vision et une méthode interactive pour mieux comprendre et valoriser le texte.» Pour lui la chose la plus importante c’est d’évaluer cette méthode en voyant les résultats sur le long terme. “Le festival féminin vient de nous démontrer qu’il peut apporter de nouvelles idées.
Ça reste à évaluer. On verra le résultat plus tard. Ça m’a plu, oui, on a passé de bons moments dans l’atelier, mais on espère que l’on verra le résultat plus tard” souligne-t-il Sa vision envisage la création d’un texte développé par les stagiaires du festival – écrit par les adhérents de l’atelier d’écriture dramatique et mis en scène par ceux de l’atelier de mise en scène – qui pourrait être présenté lors d’une prochaine édition.
« Et pourquoi pas y aller vers un texte écrit par les stagiaires qui ont participé à l’atelier et peut-être qu’il sera monté lors de la prochaine édition du festival .Ne serait-ce pas par exemple pour une ouverture ? Ça serait génial » tranchet-il.
« Lisez, écrivez, osez ! » : un conseil aux jeunes
Concluant l’entretien, le docteur Zafan adresse un conseil motivant aux jeunes, femmes et hommes, désireux de s’investir dans l’écriture dramatique : « Foncez ! L’Algérie regorge de talents et d’idées. Lisez, formez-vous, écrivez… et n’ayez pas peur de l’aventure ».
Il insiste sur le fait que le terrain du théâtre algérien est riche d’opportunités, à condition d’oser explorer et d’investir dans sa propre créativité, assurant ainsi la continuité et l’évolution d’un art noble.
« Je suis sûr qu’il y a beaucoup de talent, comme je l’ai déjà mentionné, il y a beaucoup d’énergie, il y a beaucoup d’idées, c’est un terrain qui reste à explorer, surtout dans notre pays, c’est un terrain qui attend qu’on le remplisse » dit-t-il
Il a conclu cette rencontre en saluant les pionniers : “Rendons hommage aux doyens et doyennes du théâtre algérien qui ont laissé une grande empreinte dans le mouvement théâtre algérien, qu’Allah leur fasse miséricorde “
Par : Ikram saker