Les rencontres culturelles organisées dans le cadre des activités périodiques de clubs de lecture sont des évènements qui marquent régulièrement l’agenda culturel à Annaba. Qui sont ces clubs et comment évoluent-ils ? Zoom sur une activité antique immuable.
Les week-ends à Bône sont l’occasion pour les jeunes et moins jeunes de fréquenter les clubs de lecture. Bibliothèques et centres culturels, ou même, à ciel ouvert dans les sites historiques, tous les endroits sont saisis par ces mordus de livres. Les réseaux sociaux ont fortement aidé à faire la promotion des rencontres artistiques et rendez-vous livresques. D’ailleurs, il suffirait aux internautes de consulter sur Facebook et Instagram la page Bône-culture éponyme de l’agenda culturel réalisé chaque week-end par des bénévoles, pour y trouver les lieux et endroits choisis par les organisateurs.
Qui organise ?
A Annaba, l’environnement est plus ou moins favorable à ce type d’activités. Il existe des Book club parrainés par des institutions culturelles, tandis que d’autres sont créées par des groupes d’amis ou par des d’associations.
Le Club de lecture « Fikra » « l’idée » existe depuis mars 2018. Il évolue en partenariat avec la bibliothèque principale Barkat Slimane. Les membres se réunissent mensuellement pour débattre de livres sur la pensée scientifique, philosophie, lettres…etc.
De même, un club de lecture pour enfant existe au niveau de la dite bibliothèque depuis 2014.
Le « Salon culturel Nadia » devient le rendez-vous mensuel incontournable des écrivains et journalistes, où, la poétesse Nadia Nouacer y organise depuis 2019 des présentations de nouveaux ouvrages et débats culturels. Il compte à ce jour 15 éditions.
L’Infusion littéraire et le prix Goncourt choix de l’Algérie sont des clubs de lecture affiliés à l’institut Français d’Algérie à Annaba. L’infusion littéraire est à sa première année tandis que le club de lecture Goncourt choix de l’Algérie existe depuis 2018.
Le club de lecture « how to book », appartenant à l’association « Hikayet Amel » pour la protection des enfants, œuvre à poser des socles solides pour une « génération meilleure » et ça passe principalement par la promotion de la lecture dans les zones défavorisées. Une occasion pour ces jeunes de s’exprimer à travers les lectures faites. La dernière rencontre en date a eu lieu le week-end passé, dans la commune d’El Bouni, en présence de psychologue de l’association.
De même, pour le club de lecture « Annaba pour la lecture, Nakra li nartaki », ces membres se rencontrent régulièrement, entre autres, au niveau du site antique d’Hippone. Ils ont débattu le week-end passé le livre « The book thief ».
Le club littéraire du palais de la culture Annaba organise des ateliers au terme desquels des lectures des travaux des membres sont lus et critiqués.
Et avant ?
Les cafés littéraires du collectif YOUTH étaient une fierté pour la ville. Neuf éditions ont été organisées entre août 2017 et novembre 2019 sous l’appellation « Kahwa w Kteb » (Café et livre) au niveau de la maison des jeunes (Allat Messaoud). Un livre était lu par tous, deux animateurs présentent la biographie de l’auteur et contextualisent l’œuvre. Des axes étaient dégagés pour le débat sous forme de questions et lectures d’extraits. Les cafés littéraires de Youth ont primé sur les autres activités organisées par le collectif, telles que les concerts de musique, expositions, projections, débats thématiques…etc.
Les Rendez-vous de Annaba Reads (Annaba Madina Takra) drainaient beaucoup de monde. Des lectures débats de livres, principalement en arabe, se faisaient aux ruines d’Hippone, sur la plage aussi, comme celle qui a eu lieu en 2018 pendant la saison estivale.
Bien avant, les intellectuels annabis se réunissaient régulièrement au « Club du jeudi culturel » ou dans le cadre des activités de l’union des écrivains algériens pour discuter de la chose culturelle et présenter, par la même occasion, des ouvrages et des auteurs sans pour autant que ces rencontres prennent le format de clubs de lecture. Car à l’époque, selon plusieurs témoignages, les intellectuels lisaient individuellement, et n’avaient nullement besoin de ce type d’activités. Ils débattaient régulièrement des idées et ouvrages même autour d’un café sur le cours de la révolution. Lectures et débats étaient un mode de vie.
Les clubs de lecture dans le monde
Peu de sources bibliographiques reviennent sur les origines des clubs de lecture dans le monde. Cercles littéraires, salons littéraires ou clubs de lecture existaient déjà en Grèce antique avec la poétesse Sappho, les troubadours du Moyen-Age, dans les cours de la Renaissance italienne. Dans les centres européens, des activités culturelles se développèrent en dehors des structures religieuses et politiques. Au quinzième siècle, des salons féminins ont émergé comme celui de Catherine Marquise de Rambouillet en 1610. Les premiers cercles de lecture sont apparus vers 1720 en Allemagne. C’était l’endroit idéal de rencontre et de partage dans des lieux fermés, tels que les hôtels jusqu’aux années 1970.
Avec le temps, en Europe, de plus en plus de femmes rejoignent les clubs pour devenir à composition exclusivement féminine, voir même féministe pour parler des droits des femmes et de politique. Aux Etats-Unis, ces book club ont permis d’aider pour une meilleure éducation des femmes en offrant des bourses d’études ou en inaugurant des bibliothèques…etc. Les salons du 19e siècle, au Liban, Syrie et l’Égypte qui ont été créés sur le modèle des salons européens de la société bourgeoise, représentaient une première forme d’espace public, où l’on débattait non seulement de littérature, mais aussi de problèmes de société.
Dans les années soixante, en Europe, les femmes au foyer partageaient leurs expériences. Dans les années 80, le Canada connait un boom de clubs de lecture pour enfants et adolescents, ce qui débouche en mai 1992 sur un colloque de trois jours sur les clubs de lecture. Au même moment, plusieurs célébrités rejoignent l’aventure, Oprah Winfrey lance en 1996 son ‘Oprabookclub’ en direct dans une émission télé, et à partir de là, internet a permis leur explosion. Les réseaux sociaux offrent d’énormes possibilités en termes de rencontres virtuelles ou d’annonces de rencontres en présentielle, ce qui constitue un réel enjeu pour les éditeurs et les libraires qui, eux aussi, ont lancé les leurs. Le book clubs de l’actrice américaine Reese witherspoon, Emma Watson ou Florence Welch ont explosé sur Instagram.
La stratégie adoptée
Ce que l’on dénote des différents entretiens réalisés pour rédiger cet article est que la majorité des clubs de lecture à Annaba rassemblent un public hétérogène. Le déroulement de la séance est adapté aux personnes n’ayant pas lu le livre, pour qu’au terme de la rencontre, elles aient une idée plus ou moins détaillée sur l’ouvrage.
Une manière d’avoir plus de public et motiver ceux qui n’ont pas encore franchi le pas. Des études empiriques menées aux Etats-Unis ont prouvé que l’isolement déprime le lectorat alors que l’implication sociale l’encourage. A partir de là, plusieurs questions peuvent être posées. La floraison de clubs de lecture à Annaba dénote-t-elle d’un intérêt purement littéraire, ou bien, c’est une forme d’exercice de la citoyenneté ? Sachant que les éditeurs en général affirment le recul de la lecture. Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans cette dynamique ? Est-ce une émancipation ou un indicateur de déprime provoqué par l’isolement social et le manque de débats citoyens ? Bien évidemment, aucune réponse n’est possible sans étude empirique pointue.
Par : Fatima Zohra Bouledroua