Entre la médina abandonnée, le délabrement du bâti du centre-ville et les cités-dortoirs de la périphérie, Annaba s’est inscrite dans une logique du laisser-aller, avec ses omissions, ses compromissions. Le destin de la « Coquette » traduit ainsi le délitement de ses responsables autant que celui de ses citoyens.
Quand une ville se défait
La médina, communément appelée « Place d’Armes », patrimoine historique de la ville est à l’agonie. Les bâtisses disparaissent, remplacées par des tas de gravats. Des échafaudages, des poutres métalliques, des armatures en bois soutiennent les murs fissurés. Alors que tout avait été pensé pour soustraire au regard des voisins et passants, les maisons éventrées laissent entrevoir un passé glorieux, aujourd’hui transformé en dépotoirs. Le centre-ville, même s’il tient encore n’est guère reluisant. Les quartiers traditionnellement populaires sont dans un piteux état nécessitant un renouvellement urbain. Auront échappé, sans doute à ce relâchement, « Les santons », grâce, on se doute bien, à la proximité avec la wilaya. Il faut que la vitrine soit belle. Mais là encore le paysage n’à pas échappé aux immeubles.
Vers un paysage vertical
Pourtant la ville fait sa mue. Le changement est bien visible mais il fait mal à l’œil. On ne compte plus le nombre de bâtis rasés remplacés par des tours. Cette phase rapide et opportuniste pose la question de la démarche de projet pour la ville. Il est évident que ces immeubles de grande hauteur sont le reflet d’un dynamisme économique. Ils apparaissent comme un marqueur de métropolisation. Mais peut-on s’en réjouir ? On pourrait répondre que non au vu de tous ces espaces fragmentés et désarticulés occultant toute vision globale de la matérialité de la ville et de ses représentations. La question qui se pose, est y a-t-il eu une prise en compte du paysage urbain dans la fabrication de la ville ?
Une perte d’identité visuelle
Ces constructions ont radicalement transformé le paysage, modifiant aussi le rapport à la lumière et aux ambiances. La disparition des vues sur la mer et sur la montagne ou encore la perte de repères visuels comme une conséquence de l’irruption des tours, sont autant de critiques faites par les citoyens avec qui nous avons discuté. Pour la majorité des résidents du secteur des plages, les tours participent à la fermeture d’un paysage construit ou acquis par l’expérience du quotidien. Les repères visuels dans ces quartiers ne sont pas toujours partagés par tous. Certains d’entre eux, individuels et disparus, sont souvent rattachés à des souvenirs personnels tels qu’une maison démolie pour la construction de tours. D’autres repères sont plus largement partagés comme la vue sur l’Edough et les vues sur la mer qui ne sont plus aussi dégagées.
L’éradication de l’habitat précaire, un enjeu foncier ?
Situé dans un rayon de près d’un km du centre-ville, mais aussi des plages, et au pied de l’Edough, El Mhafer a fait l’objet d’une vaste opération de démolition en 2016, à l’issue de laquelle plus de 400 familles ont été relogées dans des logements sociaux au niveau de la localité de Kalitoussa. Le « dispositif de résorption de l’habitat précaire » est plutôt vécu par des anciens résidents de ce quartier comme un outil de légitimation pour libérer un foncier convoité par les promoteurs immobiliers privés. Ces citoyens vivent cela comme un très fort sentiment d’injustice.
La fermeture du paysage a fait naître un sentiment d’exclusion parmi certains résidents à cause de la privation de certaines vues, désormais réservées à quelques privilégiés. Ce sentiment d’exclusion est accentué par le fait qu’aux yeux des habitants, ces constructions n’améliorent en rien l’image du quartier et leur quotidien. Pour certains habitants, les tours sont un calvaire au quotidien. Les personnes que nous ou rencontrer semblent subir plutôt que d’être acteurs des transformations contemporaines de leur quartier. M.R, retraité de la fonction publique, nous en parle : « Ils sont montés haut, mais ils n’ont pas pensé à ceux qui habitent en bas […] On est pour le développement, mais avec ma famille on ne peut plus jouir de notre jardin.
Tous ces balcons au dessus de nos têtes. On ne se sent plus chez-nous. Il n’y a plus de « horma » Et en plus, ils jettent tout et n’importe quoi. » M.R continuera dans leur description des maisons démolies, évoquant les familles qui les occupaient et les relations cordiales que tous les voisins entretenaient. Après l’avoir écouté en silence, son voisin et ami que nous appellerons El Hadj, nous explique que les familles qui n’ont pas encore vendu leur bien, se sentent même parfois étrangers à leur propre quartier, lieu où ils ont souvent grandi et vécu depuis plusieurs années. Ils s’inquiètent de ne plus connaître les personnes qui habitent leur rue. De toute évidence, Ces personnes rejettent la présence des tours, car elles portent atteinte à la qualité du paysage mais aussi à leur mémoire, à leur vécu et à leur quotidien.
A l’instar de toutes les villes algériennes, Annaba semble être affectée par une croissance urbaine rapide et massive, qui a fortement bousculé l’espace, générant par là des transformations spatiales et économiques profondes. La ville offre aujourd’hui l’impression de croître sans gouvernance préalable et de suivre un développement plutôt subi que planifié. Mais jusqu’à quand ?
Par : Aly D