Par : B.Mustapha
Près de 70 personnes ont été arrêtées dans la soirée de jeudi à Annaba pour « organisation ou participation à une fête et à des rites sataniques », avons-nous appris des enquêteurs en charge de l’affaire.
Suite à une commission rogatoire délivrée par les autorités judiciaires d’Oran, les éléments de la sûreté de wilaya d’Annaba ont mené, jeudi soir, une descente au niveau d’une villa à Sidi Aissa, sur les hauteurs de la commune d’Annaba. Cette opération a permis l’arrestation pour examen de situation de près de soixante-dix personnes, dont une trentaine de femmes parmi lesquelles se trouvaient deux ressortissantes étrangères. Des enquêteurs de la police judiciaire nous ont révélé qu’au moins 6 des individus présents à ladite fête ont été placés en garde à vue avant leur présentation dimanche par-devant le procureur de la république près le tribunal d’Annaba.
Il s’agit de l’organisatrice de la soirée, la propriétaire de la villa et son frère qui lui ont loué le domicile auraient été arrêtés pour « organisation d’une fête et de rituels sataniques », alors que trois autres individus auraient été surpris en possession de joints (cigarettes contenants de la résine de cannabis).
En effet, les policiers de la sûreté de wilaya d’Annaba, avec l’aide des gendarmes, ont, munis d’un mandat de perquisition délivré par le procureur de la république près le tribunal d’Annaba, mené une perquisition au niveau de l’une des villas, qui abritait une fête non-autorisée prévue de 18h00 à 23h00. Les forces de l’ordre sont arrivées sur les lieux vers 19h15 avons-nous appris de sources sûres.
L’événement était une fête de danse aux rythmes « House », « Techno » et « Deep », des styles différents de musique électronique au son infernal dont raffolent les jeunes. A l’arrivée des policiers, la piste de danse était pleine ; les jeux de lumières aux allures de stroboscopes aveuglaient les convives qui se défoulaient en bougeant dans tous les sens. Mais l’intervention a vite mis un terme à cette soirée non autorisée. Tout ce qu’il y a de plus normal. La réglementation en vigueur et les lois de la République sont au-dessus de tous. L’organisation d’une soirée dansante ou d’une « boum » étant réglementée et l’obtention préalable des autorisations nécessaires est essentielle.
Lors de cette opération seule une ressortissante russo-britannique venue en Algérie en compagnie de sa cousine et de son conjoint originaire d’Annaba, avait été prise de panique à l’entrée des policiers en civil qui avaient commencé par maîtriser son compagnon. Ce n’est qu’avec l’arrivée des policiers en tenue qu’elle a commencé à comprendre, mais n’arrivait toujours pas à se calmer et arrêter de pleurer. Se rendant compte que la femme ne comprenait pas l’arabe, les forces de l’ordre ont permis à son conjoint de la rassurer. Le reste des jeunes présents sur les lieux ont coopéré avec les policiers, croyant au début que cette descente était destinée à surprendre et arrêter de potentiels consommateurs de drogues. Ce qui ne pouvait que rendre la soirée meilleure pour eux, en les débarrassant des drogués et toxicomanes pour qu’ils puissent mieux profiter de la musique de la jeune DJette oranaise, venue spécialement pour l’occasion et qui a à son actif des dizaines d’événements similaires au niveau des quatre coins d’Algérie et plus particulièrement le Sud et l’Ouest.
Une nuit kafkaïenne
Ce n’est que lorsque les policiers ont commencé à transférer vers le commissariat central la totalité des convives de la soirée, que ces derniers ont compris que la soirée était morte et enterrée. Mais personne ne se doutait que la soirée allait être aussi longue et surtout « kafkaïenne » entre les murs du siège de la sûreté de wilaya. En effet, une fois les auditions des « fêtards » commencées, ceux-ci se rendirent compte que les charges que tentaient de retenir les policiers contre eux étaient beaucoup plus lourdes que la simple infraction à un décret administratif.
Contacté, Me Adel Messaoudi, l’avocat et conseiller juridique de Le Provincial, nous a affirmé que ladite infraction est sanctionnée par une simple amende alors qu’aucun article de loi n’aborde les rituels sataniques. On peut dire qu’il existe une sorte de vide juridique, mais ces pratiques dont sont accusés les participants à cette fête peuvent être qualifiées en vertu de l’article 144 bis 2 du code pénal et risquent ainsi jusqu’à cinq ans de prison assortis de 100.000 DA. L’article en question stipule qu’« Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de cinquante mille (50.000) DA à cent mille (100.000) DA, ou l’une de ces deux peines seulement, quiconque offense le prophète (paix et salut soient sur lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’Islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen. »
L’ensemble des personnes, composées essentiellement d’étudiants, d’artistes, de médecins et de cadres, étaient partagées entre choc et amusement en apprenant ce qu’ils ont qualifié d’accusation grotesque et Kafkaïenne. « S’ils avaient vu nos tête durant le ramadhan, les policiers n’auraient jamais pensé à tenter de nous coller cette accusation », ont affirmé ces jeunes en référence au jeûne et à leur profond respect et attachement aux valeurs de l’Islam, même s’ils ont été « surpris » lors d’une « soirée mixte ».
« J’aurais pu comprendre l’approche des autorités sécuritaires s’il s’agissait d’une soirée de métal ou de hard-rock à l’image de celles qui avaient lieu il y a une dizaine d’années de cela au niveau du théâtre de verdure, lors de l’Azimut Rock Festival d’Annaba », nous explique l’un des jeunes présents à cette soirée, avant de poursuivre, « cet événement mettait en scène des spectacles sataniques, sans que personne n’y croit réellement. En plus, il est assez fréquent de faire l’amalgame entre le métal et le satanisme. Mais je n’arrive vraiment pas à comprendre comment ils peuvent confondre l’électro avec du satanisme ».
« Aucune preuve matérielle ou autre, à propos d’une quelconque pratique de rites sataniques n’a été trouvé lors de cette perquisition. Beaucoup de policiers nous avaient même déclaré qu’ils étaient heureux avant la perquisition ; qu’ils pensaient préparer le coup de filet de l’année en nous arrêtant en flagrant délit en train de pratiquer les rites imaginaires qu’ils ont l’habitude de voir dans les séries B. Finalement ils ont été déçus de trouver juste une bande de jeunes en train de danser et de dépenser leur trop plein d’énergie en dansant, dans une ville qui ne leur offre presque aucun loisir », témoigne plusieurs participants arrêtés puis relâchés entre 4h00 et 6h30 du matin, au lendemain de cette soirée qu’ils ne sont pas prêts d’oublier de sitôt.