Par : Bouchra Naamane
Un enseignant de Tamazight dit subir des pressions à Annaba et dénonce « un problème dans l’application du plan d’enseignement de cette langue dans la wilaya ». Dans un long message publié sur les réseaux sociaux, l’enseignant en question énumère plusieurs problèmes qui l’empêchent de travailler dans un environnement sain à Annaba et lance un appel à l’aide destiné à l’opinion publique.
Il n’en fallait pas plus pour que la publication devienne virale. En quelques heures la polémique a enflé sur le réseau social préféré des Algériens où de nombreux internautes y voyaient une forme de racisme à l’encontre d’une partie de la population algérienne et un reniement de l’une des composantes de la société.
Contacté, l’enseignant qui a quitté, en 2017, sa wilaya Tizi-Ouzou pour s’établir à Annaba afin d’y enseigner la langue Tamazight, précise qu’il travaillait le plus normalement du monde jusqu’au départ de la directrice de l’établissement scolaire Rizi Amor. « Lorsque je suis arrivé, j’avais 54 élèves qui ont choisi d’étudier le Tamazight. Mais lorsque la directrice a été mutée vers une autre école, son remplaçant aurait convaincu les parents d’élèves de retirer leurs enfants de l’apprentissage de cette langue », raconte l’enseignant avant de préciser qu’il a subi des ponctions sur salaire de près de 300.000 dinars (30 millions de centimes) ces derniers mois. Pour lui, les choses avaient commencé à s’arranger, cette année, avec le retour de l’ancienne directrice à la tête de l’école primaire Rizi Amor. « Les groupes ont commencé à être formés, mais la directrice a fini par être mutée une deuxième fois à la suite d’un mouvement de protestation mené contre elle par les enseignants de l’école. Pour lui, comme pour la directrice en question, la protestation était étroitement liée à l’enseignement du Tamazight.
Un « complot » contre l’enseignement du Tamazight ?
Questionnée sur le sujet par Le Provincial, la directrice estime que le mouvement de grève a été lancé par un syndicaliste de l’Union Nationale du Personnel de l’Education et de la Formation (UNPEF), hostile à l’enseignement de cette langue qu’elle juge être « obligatoire ». Pourtant, le ministère de l’Education nationale est clair sur le sujet ; l’enseignement du Tamazight est optionnel et est laissé à l’appréciation des parents d’élèves qui peuvent choisir d’inscrire ou pas leurs enfants au cours en question.
Accusée d’avoir « caché des documents professionnels », il y a quatre ans de cela, la directrice en avait été mutée, vers un autre établissement scolaire suite à une sanction du troisième degré qui lui a été infligée par la direction de l’Education. En 2022, après un bref retour à l’école Rizi Amor, elle est confrontée à la grogne des enseignants et du personnel qui l’accusent d’avoir causé de nombreux problèmes qui touchent directement à la vie personnelle des enseignantes. Les mêmes protestataires l’accusent, en outre, de « fautes professionnelles et pédagogiques » et de « menaces de vengeance ».
« Racisme » ?
Sur les réseaux sociaux et nettement Facebook, la polémique ne cesse d’enfler. Beaucoup y voit une forme de discrimination à l’encontre des berbères et prennent la défense de l’enseignants en question. Dans les publications et commentaires, certains internautes postent la photo du syndicaliste de l’UNPEF qu’ils estiment être à l’origine de cette affaire. Un grand nombre d’entre eux n’hésite pas à utiliser les mots « racisme », « ségrégation » et « discrimination » pour qualifier cette situation dont la victime serait l’enseignant de la langue Tamazight.
L’enseignant indique, en outre, qu’il n’a actuellement aucun groupe d’élèves inscrit en cours de Tamazight et qu’il désire quitter la wilaya d’Annaba pour enseigner cette langue dans sa ville natale, mais que la direction de l’Education refuse de le laisser partir. « On refuse de signer la décision de sortie provisoire afin que je puisse réintégrer le travail au niveau d’une autre wilaya ».
« On enseignera le Tamazight même avec un seul élève inscrit »
Approchée par nos soins, la directrice de l’Education de la wilaya d’Annaba, Mme Nadia Bentaher, affirme qu’il n’y a aucun problème avec l’enseignant en question. « Il a introduit une demande afin d’être libéré de ses fonctions à Annaba et de pouvoir réintégrer le même poste à Tizi-Ouzou, ce mercredi 9 novembre. Nous avons bien évidemment tenté de l’en dissuader, puisqu’il l’est l’unique enseignant de Tamazight à Annaba, mais il a insisté prétextant qu’il devait rentrer aux côtés de ses parents âgés et malades. Nous avons donc consenti à signer cette décision, ce dimanche 13 novembre », a affirmé Mme Bentahar en nous montrant une copie dudit document signé. Cette dernière a aussi tenu à préciser que compte tenu de la difficulté de trouver des enseignants de cette langue dans la région, il lui a été demandé de leur proposer un remplaçant qui accepterait d’occuper son poste. « Nous avons, pour cette année scolaire, un groupe composé d’une vingtaine d’élèves qui souhaite étudier cette langue. Depuis 2019, c’est devenu difficile de rassembler des groupes pour étudier le Tamazight, et nous ne voulons pas que les parents d’élèves retirent leurs enfants à cause de l’absence d’enseignants. Car c’est ce qui risque de se passer si nous n’arrivons pas à trouver rapidement un remplaçant ».
Pour ce qui est des ponctions sur salaires qui ont été imposées à l’enseignant, la directrice de l’Education de Annaba précise que la réglementation de la fonction publique est claire et applicable à tout le monde. L’enseignant était, selon la responsable, dans l’obligation d’être présent au niveau de l’établissement scolaire même pendant les mois où il n’avait aucun élève inscrit à ses cours. Pour ce qui est des pressions pour pousser l’enseignant à démissionner, la directrice de l’Education affirme qu’« au contraire, nous avons tout fait pour le garder. Si on voulait réellement se débarrasser de lui, on aurait pu demander à la tutelle de supprimer ce poste budgétaire pendant les années scolaires où il n’y avait aucun élève inscrit aux cours de Tamazight. Au contraire, même après avoir signé sa demande de départ, je souhaite vraiment qu’il reste pour enseigner la langue aux enfants qui désirent l’apprendre. Il n’est pas facile de trouver un prof de Tamazight à Annaba, et les élèves inscrits risquent d’être pénalisés par le départ de leur enseignant », estime Mme Bentahar qui est elle-même d’origine Amazighe.