Le Provincial a rencontré l’une des figures les plus emblématiques et anciennes de la wilaya d’Annaba dans le domaine de la vente de cassettes de musique et d’instruments musicaux, Amrani Abdelwahab. Originaire de la wilaya de Guelma, ce passionné a ouvert son magasin, «Sout El Fan», le 19 mars 1964, à l’âge de 23 ans, dans la Vieille ville ( Place d’Armes).
Dès que l’on franchit le seuil de cette authentique boutique, située en plein cœur d’Annaba, on est immédiatement transporté par l’ambiance empreinte d’authenticité et d’art. Le magasin est décoré de vinyles et de cassettes de tous les genres de musique : algérienne, orientale et internationale. Les visiteurs peuvent également y admirer des postes de radio d’époque et une riche collection d’instruments musicaux, tels que des guitares, ouds et derboukas.
Mr Amrani Abdelwahab a, également, habillé son magasin de nombreuses photos souvenirs, témoins de sa vie professionnelle et personnelle. Parmi elles, on trouve ses clichés avec des grands artistes de renom, des images de lui en tant que membre du groupe d’Aïssaoua, ainsi que des photos de ses proches, parents et petits-enfants, illustrant l’amour profond qu’il leur porte. Cet espace n’est pas seulement un magasin ; c’est un véritable musée vivant de la musique et de la mémoire collective d’Annaba.
Un héritage familial profondément enraciné
Mr Abdelwahab nous a confié que sa passion pour la musique est profondément enracinée en lui. Dès sa naissance en 1940, son père, grand amateur du célèbre musicien égyptien Mohammed Abdelwahab, lui a donné ce prénom en hommage à l’artiste qu’il admirait tant. Issu d’une famille cultivant un goût raffiné pour la musique et la photographie, son père, propriétaire d’une cafétéria et d’un magasin de photographie, y vendait également des disques, transformant cet espace en un véritable lieu de rencontre pour les passionnés de musique et de belles images.
Sa famille, véritablement dédiée aux arts, compte un frère professeur de guitare et photographe, tandis qu’un autre frère partage également la passion pour la photographie. Abdelwahab a lui-même consacré une grande partie de sa carrière à la photographie avant de s’investir pleinement dans son magasin de musique, où il travaille encore aujourd’hui avec la même passion.
Depuis 1985, il est également membre d’un groupe Aïssaoua, une participation qu’il décrit comme une pure source de plaisir, sans autre but que de célébrer la musique et la tradition. Ce parcours témoigne de l’héritage familial artistique et du profond attachement de Abdelwahab à la musique et à la culture.
Des artistes de légende comme visiteurs réguliers
Parmi les artistes emblématiques ayant fréquenté le magasin de Mr Amrani Abdelwahab, figurent des légendes telles que Dahmane El Harrachi, El Hadj El Fergani et Abdelkader Chaou. Il nous a confié que presque tous les orchestres passant par le théâtre d’Annaba viennent lui rendre visite, trouvant dans sa boutique un lieu incontournable pour se procurer disques et instruments. Ce magasin est bien plus qu’un commerce : il est devenu un lieu de rencontre pour les musiciens, une véritable institution culturelle d’Annaba.
L’artiste Dahmane El Harrachi, de son vrai nom Amrani Abderrahmane, partageait avec lui le même nom de famille et l’appelait affectueusement «cousin». Cette proximité laisse encore des souvenirs précieux et intacts dans la mémoire de Abdelwahab, qui se souvient avec émotion des échanges qu’il avait avec ce grand maître de la musique populaire algérienne. Il nous a également confié qu’El Hadj El Fergani, avec qui il entretenait une amitié remontant aux années 1955, avait l’habitude de lui rendre visite régulièrement. Quant à Hamdi Benani, autre légende et ami proche, il venait souvent s’asseoir avec lui pour partager un thé et discuter des heures durant. À l’évocation de ces souvenirs, les larmes de Abdelwahab trahissent l’émotion et la profondeur de ces amitiés, gravées pour toujours dans sa mémoire.
Un amour inconditionnel pour la famille
Abdelwahab conserve également un amour profond pour ses parents et son grand frère, Abdelhamid Amrani, qui lui a transmis la passion de l’art et de la musique. Il garde précieusement des photos de ses proches dans le magasin, notamment celles de ses petits-enfants et de sa fille, témoins de cet amour familial indéfectible
Un attachement indéfectible à son métier
Quand nous lui avons demandé s’il avait suivi l’évolution de la musique au fil des décennies, Mr Abdelwahab Amrani a souri en évoquant les transformations technologiques. Il a noté, non sans humour, que les disques et les cassettes avaient fait place aux clés USB et aux cartes mémoire: «Cela ne m’appartient pas», a-t-il dit en riant. Il a ajouté que, dans ce monde numérique, les CD et les disques ne sont plus produits comme avant, le public ayant évolué vers d’autres supports. Malgré ce changement, il n’a jamais envisagé d’abandonner son métier. «La musique coule dans mes veines ; je ne peux pas vivre sans l’art», a-t-il confié. Son plus grand plaisir est de venir chaque matin ouvrir son magasin, contempler ses disques, chacun porteur d’une histoire et d’un souvenir, et admirer ses instruments de musique. Il conclut avec détermination: «Je resterai ici jusqu’au dernier souffle.» Sa routine matinale reste inchangée : il savoure toujours un café tout en lisant le journal.
Curieux des nouvelles technologies, Mr Amrani Abdelwahab reconnaît que l’Internet a transformé le monde. Il souhaite que cette époque technologique contribue au progrès. Mais, il espère également que l’essence de l’art restera préservée.
Jusqu’à présent, il continue de vendre des postes de radio et des appareils d’époque, particulièrement appréciés par les personnes âgées, ainsi que des instruments de musique comme des guitares et des violons, qui trouvent toujours preneurs. En adressant un message à la nouvelle génération, il les encourage à préserver leur amour de l’art. «Une vie sans musique, n’est pas une vie», a-t-il déclaré avec passion.
Enfin, s’adressant aux jeunes Algériens, Mr Abdelwahab leur a lancé un message d’espoir: «L’avenir est à vous. Poursuivez ce chemin de l’art, avancez toujours, il n’y a pas de marche arrière.»
Par : Ikram Saker