Par : Ziari Zine Eddine Yassine*
De nos jours, il est devenu très usuel pour un Algérien de se diriger vers la médecine « traditionnelle » pour soigner ses maux de tout genre. Entre phytothérapie, aromathérapie ou guérison par la foi, « les tradipraticiens » ont le vent en poupe assez souvent hors de tout encadrement juridique ce qui dans beaucoup de cas peut engendrer de graves conséquences sur la santé rendant ainsi la frontière entre véritables tradipraticiens et « charlatans » infime.
Qu’est-ce que la médecine traditionnelle ?
Selon la définition officielle de l’OMS, la médecine traditionnelle « se rapporte aux pratiques, méthodes, savoirs et croyances en matière de santé qui impliquent l’usage à des fins médicales de plantes, de parties d’animaux et de minéraux, de thérapies spirituelles, de techniques et d’exercices manuels – séparément ou en association – pour soigner, diagnostiquer et prévenir les maladies ou préserver la santé ».
En Algérie, la médecine traditionnelle a toujours occupé une place prépondérante dans notre société et ce malgré les avancées de la médecine. En effet pour beaucoup d’algériens, le premier réflexe lorsqu’ils sont malades est de prendre des remèdes traditionnels à base d’herbes ou autres produits naturels sur conseil des « anciens » ou ceux qui ont « El Hikma » qui prétendent avoir de la sagesse ou voir même un don de dieu pour guérir les multiples maladies qui existent donnant à beaucoup de patients de faux espoirs souvent suivis d’une désillusion poignante.
Comment la médecine traditionnelle peut-elle représenter un danger pour la santé ?
En effet, s’adonner à la médecine traditionnelle hors de toute régulation et sans connaissance préalable des fondements de la médecine peut gravement nuire à la santé d’un individu de deux façons principalement. Soit en retardant l’instauration d’une prise en charge adéquate ce qui laisse le temps à la maladie pour évoluer et ainsi n’être découverte qu’à un stade trop avancé et causer potentiellement des complications graves voire même mettre la vie du malade en jeu là où une prise en charge à temps aurait permis la stabilisation de la maladie et la prévention des risques précédemment cités. Soit par les effets délétères que peuvent avoir les substances prises dans le cadre de la phytothérapie notamment, en d’autres termes ces substances peuvent intoxiquer l’organisme, déclencher des allergies dangereuses ou aggraver une maladie déjà déclarée et potentiellement causer des séquelles graves voire même mener à la mort dans certains cas.
Pour étayer le passage précèdent, on déroulera quelques exemples qui illustrent comment la médecine traditionnelle peut se révéler dangereuse pour la santé publique. Tout d’abord, certaines pathologies « graves » peuvent se révéler par des symptômes que beaucoup considèrent comme banals. Par exemple, un cancer du côlon peut avoir comme symptômes révélateurs des troubles du transit intestinal à type de diarrhée/constipation que certains « guérisseurs » traitent à base d’herbes au long terme malgré la persistance de ces derniers alors qu’un professionnel de la santé aurait eu le réflexe de proposer au malade des examens complémentaires qui permettent de poser le diagnostic à un stade précoce améliorant ainsi le pronostic de la maladie par une prise en charge adéquate et à temps.
D’autre part, des pathologies banales non traitées convenablement par des médicaments dument prescrits évoluent pour donner des complications des plus sérieuses telles que l’HTA ou le diabète. De plus, beaucoup de plantes utilisées dans la phytothérapie sont en réalité nocives et peuvent causer par exemple une réaction allergique cataclysmique si jamais la personne qui les prends se révèle être allergique ce qui peut être létal. Aussi, certaines substances peuvent avoir des interactions dangereuses avec les médicaments pris dans le cadre d’un traitement tel que le pamplemousse qui peut interagir avec la moitié des médicaments référenciés. D’autres plantes médicinales peuvent représenter un danger pour la femme enceinte ou allaitante voir sont totalement interdites dans ce cas car elles risquent de déclencher des contractions utérines et causer un accouchement prématuré mettant en jeu la vie de la mère et de l’enfant. On peut aussi citer la réglisse qui peut aggraver une hypertension artérielle et entrainer un pic hypertensif par exemple.
La médecine traditionnelle peut-elle avoir des vertus ?
On ne peut bien sûr pas nier les bienfaits de certaines « thérapies traditionnelles » car bien évidemment beaucoup de médicaments qu’on consomme quotidiennement sont produits à base de plantes dont l’efficacité pharmacologique a été démontrée. De plus, certaines thérapies semblent avoir un effet bénéfique sur la santé par le biais de ce qu’on appelle « effet placebo » qui implique des mécanismes psychologiques. Néanmoins le recours à ces méthodes traditionnelles ne doit se faire qu’après conseil auprès d’un médecin compètent en complément d’une prise en charge médicale adéquate et après vérification de l’innocuité de ces méthodes et l’absence de tout risque d’interaction avec les médicaments prescrits ou de toute toxicité pour notre organisme.
En résumé, il faut toujours avoir à l’esprit que les tradipraticiens ne sont pas des professionnels de la santé et qu’ils ne sont pas qualifiés pour prendre en charge des malades et même que beaucoup d’entre eux ignorent totalement les fondements de la médecine conventionnelle et leurs procédés ne sont que peu ou pas du tout documentés et mettent ainsi la santé d’autrui en danger de différentes manières comme expliqué précédemment. Néanmoins, cela ne veut pas dire que la médecine traditionnelle n’a pas sa place au sein du système de santé moderne, bien n’au contraire la médecine complémentaire est un appoint de la médecine conventionnelle très bénéfique si elle est bien encadrée juridiquement notamment afin de réguler son exercice, éviter les risques que certaines pratiques peuvent avoir et aussi mettre fin aux agissements des « charlatans » qui promeuvent des mensonges auprès des malades et n’oublions pas non plus qu’il faut aussi mettre un frein à la publicité mensongère qui décrit certaines pratiques plus que controversées voire même trompeuses comme étant miraculeuses et induit ainsi des centaines voire des milliers de malades dans l’erreur et menace leur santé en conséquence.
Membre Club scientifique Averroès Faculté de médecine d’Annaba*