À Béjaïa, la gestion des eaux industrielles connaît un tournant inédit. Une nouvelle station d’épuration transforme les effluents en ressources utiles, entre irrigation des espaces verts et production de fertilisants agricoles à partir des boues traitées.
Cette initiative s’inscrit dans le cadre de l’économie circulaire : l’eau épurée est réutilisable pour des usages industriels, tandis que les boues déshydratées sont valorisées après un traitement spécifique, en compost ou en mélange avec du fumier.
Une station au cœur de l’économie circulaire
La Laiterie Soummam, qui porte ce projet, s’est équipée d’une technologie allemande de pointe fournie par Envirochemie GMBH. La station peut traiter jusqu’à 4800 m³ d’eaux usées par jour, même avec une forte charge organique. Le procédé associe tamisage, flottation des graisses, réacteur aérobie Biomar OBR et décanteur pour la déshydratation des boues, garantissant une épuration efficace et des sous-produits valorisables.
Au-delà de l’aspect technique, la station répond à un enjeu environnemental majeur. Les cours d’eau de la région, et en particulier l’oued Soummam, ont longtemps été exposés à des rejets industriels. Le projet démontre qu’il est possible de concilier performance industrielle et protection de l’environnement.
Un modèle à suivre pour l’industrie algérienne
Les experts estiment que cette démarche pourrait servir de modèle à d’autres acteurs industriels en Algérie. La valorisation des sous-produits, le respect strict des normes environnementales et l’adoption de technologies efficaces sont autant de pistes pour généraliser une gestion durable des eaux usées.
Le développement de l’activité économique dans la région de la Soummam s’est accompagné d’une grande menace écologique susceptible d’avoir un impact direct sur la santé des habitants de la région. « L’eau est polluée à tel point qu’il n’est même plus nécessaire de faire des analyses pour en prendre conscience. La pollution est visible à l’œil nu » .
L’oued Soummam, victime d’années de négligence
L’oued Soummam a subi et continue de subir des dégradations importantes, suite aux déversements des déchets industriels ainsi qu’à l’augmentation observée jour après jour des points de déversement des eaux usées domestiques. L’utilisation des eaux de l’oued pour l’irrigation pose un problème majeur de santé public. L’oued Soummam, qui prend naissance de la confluence de l’oued Sahel et de Bou Sellam à Akbou avant de se jeter, à Béjaïa, dans la mer Méditerranée, constitue le réceptacle principal de tous les rejets ménagers, en plus de ceux d’origine industrielle, provenant des unités de production installées aux abords de l’oued. Même si l’administration a longtemps minimisé la nuisance de ces entreprises, il n’en demeure pas moins qu’elles comptent parmi les pollueurs.
En mars dernier, Le député de Béjaïa Massinissa Ouari a profité, lors de la séance plénière de l’APN consacrée aux questions orales, pour interpeller à ce sujet Nadjiba Djilali alors ministre de l’Environnement et de la Qualité de la vie. L’action du gouvernement a conduit, selon elle, «deux entreprises sur les 33 à engager des projets de réalisation des stations d’épuration des rejets industriels au niveau de la zone industrielle Thaharacht d’Akbou, et la dotation de 7 autres du même équipement, pendant qu’une autre unité est en cours de réaliser sa STEP».
Dans le même sillage, elle a indiqué que «30 entreprises ont signé des conventions avec l’Observatoire national de l’environnement et du développement durable pour le suivi et le contrôle régulier de ces STEP», à travers des actions concrètes comme la prise d’échantillons pour analyse, ainsi que d’autres programmes visant à protéger ce cours d’eau.
Des barrages qui bouleversent l’équilibre naturel
Les cinq barrages, érigés sur les affluents de la célèbre rivière (Tichy-Haf, Bou Hamza, Béjaïa) : 150 hm3, i.e. : 150 millions de mètres cubes ; Tilesdit (Semmache, Bouira) : 150 hm3 ; Koudiet Acerdoune (Maâla, Guerrouma, Bouira) : 620 hm3 ; Oued Lakehal (Aïn Bessam, Bouira) : 30 hm3 ; Aïn Zada (BBA) : 120 hm3). La Soummam se trouve ainsi privée d’un apport important pour son drainage et le renouvellement des eaux. Cet arrêt de l’alimentation habituelle de la Soummam a pour conséquences notamment l’arrêt des crues saisonnières ; la chute dramatique du niveau piézométrique de la nappe de la Soummam ; le non-renouvellement des réserves en eau ; et donc la destruction des milieux naturels et biologiques ; l’assèchement du lit de la Soummam ; l’anéantissement de l’agriculture…
D’autant qu’entre-temps, justement, l’oued subit des agressions quotidiennes : exploitations des rives de la Soummam comme zones de décharges, contamination de la nappe de la Soummam par des rejets industriels en plus de l’exploitation industrielle intense des sables… Et tout cela a des conséquences dramatiques et irréversibles sur la nappe phréatique et la vie végétale et animale de la Soummam. Le rejet direct des eaux usées sans traitement dans l’El Oued a complètement détruit l’écosystème local. Plusieurs espaces telles les grenouilles ont disparu de la Vallée de la Soummam depuis des années.
Une vallée sous pression
De manière plus générale, c’est toute la vallée de la Soummam qui est en danger. La région est confrontée à une croissance démographique et industrielle soutenue, ce qui place la gestion des déchets au rang de défi majeur, nécessitant une réflexion collective et une action concertée.
Mais la Soummam, n’est pas la seule concernée, Les douze rivières traversant la ville de Béjaïa sont devenus un déversoir pour les eaux usées ainsi que par des rejets toxiques de certaines usines, ces rivières sont envahies par des reptiles et rongeurs, constituant ainsi un danger pour la santé publique.
Au total, douze rivières représentant un linéaire de près de 5 kilomètres et qui traversent de grands quartiers populaires de la ville sont transformées depuis maintenant plusieurs décennies en déversoirs des eaux usées et industrielles, et en décharges sauvages, offrant aux yeux un décor déplaisant.
Une initiative encourageante, mais encore isolée
La situation actuelle, visible tout le long des berges de l’oued Soummam, préoccupe les pouvoirs publics, la société civile, les agriculteurs et les acteurs économiques. Les décharges non contrôlées et l’impact des rejets atmosphériques et liquides sur la qualité de vie sont des réalités qui interpellent. Ces enjeux affectent non seulement le paysage et l’environnement, mais aussi la santé publique et la pérennité des activités agricoles, fierté de la région. Toutefois, au lieu de céder à l’alarmisme, cette constatation doit être perçue comme un appel à l’action.
Chose faite avec cette station d’épuration mais la résolution durable de la crise des déchets dans la vallée de la Soummam est un défi d’une telle ampleur qu’il ne peut être relevé par un seul acteur. Toute initiative isolée, ne pourra avoir qu’un impact limité, tant dans l’espace que dans le temps. Il est temps que les autres industriels suivent l’exemple car cette vallée historique mérite mieux.
Par : Aly D












