De la récolte à l’extraction de l’huile, la cueillette des olives est un captivant voyage au cœur de l’histoire et de la culture de l’huile d’olive en Algérie.
Chaque automne et hiver, l’Algérie s’anime au rythme des oliviers. L’huile est produite un peu partout dans le pays. De la Kabylie aux Aurès, de Tlemcen à Tipaza, de Chlef à Bouira, et jusqu’à Biskra, Bejaïa, Mascara ou Guelma, la saison des oliviers transforme les paysages en scènes de vie où la terre, la famille et la tradition se rejoignent dans la continuité des savoir-faire ancestraux.
La récolte des olives dépasse la simple dimension agricole. Elle est un moment de communion familiale et de transmission. Les anciens montrent aux jeunes les gestes précis de la cueillette, tandis que l’huile nouvelle, l’or vert, devient un produit sacré de la maison, utilisé autant pour la cuisine que pour les soins ou les rituels de bénédiction. A partir de fin octobre les olives commencent à tourner du vert au noir en passant par le violacé. C’est le moment où la récolte commence. Traditionnellement la cueillette se fait à la main, elle est aussi mécanisée. mais les puristes vous diront rien ne vaut la main. Parmi les variétés les plus courantes, on retrouve la Sigoise, la Chemlal, la Hamra et la Limli, chacune offrant une palette de saveurs unique et donnant aux huiliers l’occasion de créer une gamme diversifiée d’huiles aux profils gustatifs distincts.
La saison des retours
Dès les premières lueurs de l’aube, les villages s’éveillent dans une effervescence palpable. Les femmes s’affairent dans les cuisines, préparant couscous, petit lait et beignets, soigneusement emballés pour nourrir la tribu au cours d’une journée intense. Dans les oliveraies familiales séculaires : échelles, corbeilles, caisses en plastique, couffins et grandes bâches sont de sortie. Aujourd’hui encore les traditions sont respectées. Où que l’on se trouve, quel que soit notre profession, les week end et les vacances scolaires signent le retour au bercail « quasi forcé » parfois même pour des familles qui ont quitté le village depuis des générations. On doit aider ! La cueillette à la main, opérée éventuellement avec l’aide d’un peigne manuel, s’avère gourmande en main-d’œuvre et nécessite la présence de tout le clan familial. Elle est moins rapide mais elle laisse le temps de déguster des repas familiaux, tel le couscous de fèves arrosé d’huile d’olive et chauffé sur un feu de bois, de rire, de se raconter et de retrouver le sens de la famille. Mais déjà, il faut reprendre le travail. Les tas d’olives grossissent, les filets se remplissent, et la satisfaction se lit sur les visages. La journée se termine généralement vers 17 heures. Malgré la fatigue, on se donne rendez-vous pour le lendemain.
L’art de la récolte
Chaque village fixe la date d’ouverture via « tajmaât », l’assemblée du village. Elle est marquée par le rituel sacrificiel de « timecreṭ uzemmour », le « sacrifice des olives », célébration coutumière visant à protéger les récoltants contre, le mauvais œil. Après ces réjouissances, le travail est réparti : les ménages s’installent dans les oliveraies et les moulins collectifs reprennent leur activité. Traditionnellement, ce sont les femmes qui s’occupent de la récolte. Elles ramassent les olives dans des paniers et les rapportent au village. La cueillette dure plusieurs semaines et est encadrée par des interdits qui en préservent la qualité et la quantité. Pendant ce temps, les hommes préparent les moulins et les pressoirs. L’ouverture rituelle des campagnes est célébrée dans chaque moulin par une collation composée d’olives noires, de figues sèches farcies de miel, de galettes d’orge avec gelée de caroube arrosées d’huile nouvelle.
Les premières olives doivent entrer dans les moulins avant les grands froids. La période de la quarantaine, interdit toute entrée dans les oliveraies. Le travail reprend aussitôt après. La récolte bat son plein dans la vallée de la Soummam et au-delà, jusqu’au bassin du Hodna. Yennayer, le jour de l’an berbère, interrompt toute activité : familles et enfants se rassemblent pour partager un moment festif avant de reprendre la cueillette. La récolte terminée, les propriétaires se rendent au village pour régler leurs dettes et montrer qu’ils ont rempli leur devoir. Les grands propriétaires qui ne peuvent gérer seuls la récolte, s’appuient sur les voisins, rémunérés lors du partage de l’huile. Celui-ci se fait en trois parts : un tiers pour le propriétaire, un tiers pour l’entretien des oliviers, et un tiers pour les cueilleurs, après que le propriétaire du moulin a prélevé sa part.
De la terre à la jarre : le luxe qui vient du sol
Le lancement de la récolte suit aussi l’ouverture des huileries fort nombreuses, grâce au dispositif d’accompagnement de l’activité agricole mis en place par l’État. Mais les huileries modernes ne sont pas les seules dans le paysage oléicole. Les huileries traditionnelles même en nombre restreint sont encore le témoignage de l’authenticité de l’activité. L’huilerie fonctionne dans un système bien « huilé ». L’arôme des olives fraîchement pressées emplit l’air. Dehors, des amas de sacs numérotés sont soigneusement rangés. Ici, un rituel incontournable s’impose : goûter l’huile nouvelle. Autour d’une assiette, chacun trempe un morceau de galette dans ce précieux nectar, savourant le goût authentique de la récolte. L’huile d’olive est ensuite stockée avec soin dans des jarres. Elle accompagnera les repas des familles jusqu’à la prochaine saison. Mais avant cela, elle arrose copieusement le couscous de fin de cueillette, « imensi uzemmur », une cérémonie familiale. Les propriétaires doivent pourvoir en viande toutes les familles ayant travaillé.
Une identité rurale et culturelle
La récolte des olives symbolise la patience, la bénédiction et la prospérité. Elle perpétue des gestes qui se perdent dans le temps et maintient vivante une identité rurale et culturelle forte. Le temps des oliviers et ses règles sont autant d’ingrédients pour que l’Algérie puisse se positionner comme une destination incontournable du tourisme oléicole mondial. Forte d’un legs culturel remarquable, cette région mythique perchée sur les hauteurs du Djurdjura, pourrait profiter pleinement de son héritage et de son patrimoine vivant en y intégrant une nouvelle route de l’huile d’olive. Car la saison des oliviers, entre travail minutieux et réjouissances familiales, révèle une Algérie profondément enracinée dans ses traditions où les oliveraies sont des espaces de transmission, de solidarité et de fête.
Le temps des oliviers rappelle que, malgré les bouleversements du monde moderne, certaines pratiques ancestrales perdurent et continuent d’éclairer la vie des villages et des familles. C’est un témoignage vibrant de la manière dont la nature, la culture et la famille s’entrelacent dans la vie quotidienne, et de la manière dont l’huile d’olive reste, saison après saison, le symbole d’une identité.
Par : Aly D












