Dans un marché longtemps dominé par les géants de l’industrie laitière, les artisans fromagers algériens trouvent peu à peu leur place. Issus pour beaucoup d’un héritage pastoral, ils redonnent vie à des recettes anciennes tout en les adaptant aux exigences contemporaines.
Ces ateliers, souvent familiaux, misent sur la qualité du lait local et sur des méthodes de fabrication artisanales qui privilégient la main et le temps, là où l’industrie mise sur la vitesse et le volume. De l’Oranie aux Hauts-Plateaux, du Constantinois aux régions sahariennes, en passant par la Kabylie, ces ateliers régionaux donnent un nouveau visage à la filière. Et si leurs volumes restent modestes, leur créativité et leur qualité leur valent désormais une reconnaissance qui dépasse les frontières nationales.
Un maillage d’ateliers régionaux
Le paysage fromager algérien se compose aujourd’hui d’une mosaïque d’initiatives locales. En Oranie, plusieurs familles perpétuent une tradition tournée vers le lait de vache et de brebis. Les fromages qui en résultent, souvent semi-affinés, séduisent par leurs arômes puissants et leur texture ferme, rappelant des influences méditerranéennes. Dans les Hauts-Plateaux, le climat rude et les troupeaux caprins favorisent des productions au caractère affirmé, marquées par la rusticité des pâturages.
Plus à l’est, le Constantinois se distingue par des coopératives rurales qui expérimentent des recettes originales. Inspirées du modèle coopératif européen, elles introduisent des techniques modernes tout en restant fidèles aux pratiques locales. Les familles y produisent des fromages frais, parfois semi-affinés, vendus sur les marchés de villages, qui conservent un fort ancrage dans le quotidien des habitants. Enfin, dans le Sud, des producteurs innovent en transformant le lait de chamelle, une ressource encore peu exploitée mais riche en potentiel, donnant naissance à des créations inédites qui intriguent autant les chercheurs que les consommateurs curieux.
Des savoir-faire anciens revisités
Dans toutes ces régions, l’artisanat fromager repose sur une transmission intergénérationnelle. Le geste du caillage, l’utilisation de ferments naturels, l’affinage en caves rustiques ou encore la vente directe sur les marchés témoignent d’une authenticité recherchée par une clientèle urbaine en quête de produits locaux. Mais cette fidélité à la tradition ne s’oppose pas à l’innovation.
Ainsi apparaissent des fromages aux noms évocateurs, porteurs d’une identité régionale affirmée. Le Tamgout, originaire de Tizi Ouzou, s’est imposé comme le porte-drapeau de cette nouvelle génération, en remportant une médaille internationale en 2023. Dans les Aurès, un fromage baptisé Aurassi, élaboré à partir de lait de brebis, commence à se faire un nom sur les marchés spécialisés. En Oranie, des artisans développent le Boumerdassi, une pâte pressée inspirée des modèles européens mais adaptée au lait local. Plus au sud, des ateliers expérimentent le Chami, un fromage au lait de chamelle qui suscite autant de curiosité que d’intérêt lors des salons agroalimentaires.
Ces créations, souvent façonnées en petites quantités, ambitionnent de devenir des signatures algériennes capables de rivaliser avec les productions étrangères. Cette dynamique contribue à enrichir le patrimoine culinaire du pays, longtemps cantonné aux fromages fondus industriels ou aux produits importés.
Un avenir à bâtir
Pourtant, les perspectives sont prometteuses. Le dynamisme des ateliers régionaux, l’intérêt croissant des consommateurs pour des produits de terroir, et l’attention portée par les concours internationaux ouvrent la voie à une structuration progressive. Plusieurs initiatives visent déjà à fédérer les artisans autour de réseaux de formation et d’échanges. Des projets de coopératives élargies pourraient également renforcer la collecte et l’affinage, tout en facilitant la mise sur le marché.
À terme, l’Algérie pourrait bâtir une véritable carte fromagère nationale, où chaque région exprimerait son identité laitière : l’Oranie avec ses fromages de brebis, les Hauts-Plateaux avec ses fromages caprins, le Sud avec ses spécialités au lait de chamelle. Une telle diversité constituerait une richesse culturelle autant qu’un atout économique, susceptible de séduire les marchés extérieurs et de faire du fromage un ambassadeur de la gastronomie algérienne.
Des ateliers aux podiums, une histoire en marche
Le chemin reste encore long, mais l’élan est là. Des ateliers familiaux des campagnes aux concours internationaux, les artisans fromagers algériens tracent une voie nouvelle. Ils incarnent la rencontre entre un savoir-faire ancestral et des ambitions modernes. Dans leurs mains se joue l’avenir d’une filière qui, au-delà de nourrir, aspire à faire rayonner le pays à travers le monde.
Par : Aly D