Nous avons rencontré l’artiste Souad Asla lors de son dernier passage à Annaba à l’occasion de sa tournée algérienne, avec son groupe pour le projet Jawal. Organisé en partenariat avec l’Institut français en Algérie, cet événement à rencontrer un franc-succès à travers les Instituts français d’Alger, Oran, Tlemcen, Constantine et Annaba.
Des groupes de musique, l’artiste, qui allient les genres musicaux de la région de la Saoura, n’en a pas qu’un :
Le projet Jawal représente son premier album et est le fruit de ses propres compositions. Avec son groupe aux inspirations modernes, les rythmes et percutions ethniques de la Saoura se mêlent délicatement à des notes de blues et de jazz, à l’image de la personnalité hybride de l’artiste.
Avec son groupe «Lemma», qui rassemble des femmes de la région du Sahara, seniors pour la plupart, il est question d’un engagement personnel destiné à préserver un patrimoine musical oral en perdition. On retrouve des chants marqués, propres à cette région, du gnawa, des transes, et autant de pratiques autrefois considérées comme «has been» et qui sont, aujourd’hui, une revendication identitaire avant tout.
On retrouve également Souad avec le groupe des «Héritières », qui porte très bien son nom, aux côtés de Samira Brahmia, Cheikha Hadjla et Nawel Ben Kraïem, elle célèbre la très grande chanteuse algérienne Cheikha Remitti.
L’excellence technique, vocal ou esthétique, sont très loin d’être des objectifs à atteindre ou à travailler pour cette chanteuse qui a décidé de vivre son art au «feeling». «Pour moi, le plus important, c’est que mon public sente que je donne des bouts de mon âme et de mon énergie lorsque je me produis sur scène. Nous sommes dans une sorte de bulle pendant mes concerts, et on en ressort avec des âmes guéries. Et ça, c’est le plus noble des objectifs !»
On peut quitter le Sahara, mais lui ne nous quitte jamais…
Le lien indéfectible de la chanteuse avec les rythmes et percussions de la région de la Saoura (région du Sahara occidental algérien) est loin d’être une évidence. Esquissant un sourire lorsqu’elle aborde ce sujet, elle nous confie : «En réalité, lorsque j’étais plus jeune, je n’avais pas ce lien fusionnel avec la ville où j’ai grandi, à savoir Béchar. J’aspirais à une vie plus moderne, moins monotone. Mais le fait est, qu’une fois installée en France,le sentiment de «Ghorba» m’a fait renouer avec mes origines. On se rend compte que pour aller vers la culture des autres, il faut d’abord être en phase avec notre identité, au risque de se perdre. C’est un travail de fond pas forcément facile à faire et à vivre. J’ai quitté mon pays le cœur gros, sans attachement particulier à mon patrimoine. J’avais la tête ailleurs à ce moment-là, et bizarrement, ce n’est qu’une fois que j’ai renoué avec mes racines que j’ai pu renouer avec mon pays et ma famille que j’avais quitté sur un malentendu. J’ai aujourd’hui la chance d’être moi-même, chez moi, et avec les miens».
Une affaire de féminisme inné
La Souad Asla épanouie en phase avec son art et son appartenance que nous connaissons aujourd’hui est en réalité à des années lumières du destin qu’on lui prédestinait petite fille. Issue d’une famille instruite, mais conservatrice de Béchar, la Souad Asla artiste et ouvertement féministe, a dû vivre un déchirement avec sa famille et ses racines pour prétendre à sa vie actuelle.
«Petite fille déjà, je me questionnais beaucoup sur les tradition et pratiques qu’on m’imposaient. Je voulais faire du théâtre, mais on m’a rapidement insinué que ce n’était pas envisageable pour une femme. Alors, quand à 20 ans, j’ai voulu épouser celui que mon cœur avait choisi et que même les plus lointains des hommes de ma famille avaient leurs mots à dire, j’ai décidé de prendre ma vie en main et de choisir la vie que je méritais. Je suis montée à bord du premier bateau à destination de Marseille et j’ai tout recommencé à zéro. C’était extrêmement violent et traumatisant pour moi. Mais, je reviens sur cet épisode avec plus d’apaisement, aujourd’hui, quand je vois grandir mon art et mes deux magnifiques filles».
Souad, en plus d’adhérer au féminisme, le pratique dans sa musique. Elle joue au Guembri, s’attaque au Gnawa, et occulte volontiers le fait que ces pratiques soient traditionnellement réservées aux hommes dans la tradition sahraouie. A cet effet, elle nous dira : «Bien sûr que c’est un acte de militantisme et de féminisme. La priorité, c’est de préserver ces pratiques musicales, pas de les genrer (…). Si j’ai un truc à dire aux foyers algériens, c’est de faire confiance à leurs filles, de les épauler et de leur donner l’élan pour faire de grandes choses. Nous avons la chance d’avoir une jeunesse extraordinaire qu’il faut soutenir et non pas brimer».
Du lien spirituel au patrimoine sahraoui
L’expérience des concerts de Souad Asla va au-delà du concert musical. On y retrouve cette dimension un peu mystique qui relève du «feeling» du tout à chacun. On passe de rythmes enjoués qui font sauter l’assistance au plafond, aux rythmes mélancoliques qui font couler beaucoup de larmes durant ses concerts. On retrouve, également, beaucoup de dialogues, de rires partagés avec le public au détour d’une chanson un peu satirique, c’est notamment le cas de sa chanson «Marchandise» où le monde du «show business» en prend pour son grade.
Mais plus que tout, le symbole des concerts de Souad Asla demeure, les transes qu’elle pratiquent avec son public, mêlant chants et danses ancestraux destinés à «alléger les âmes», dira-t-elle .
Le Sahara menacé par le tourisme de masse
Depuis des années maintenant, l’artiste va en retraite, seule ou avec ses groupes de musique et sa famille pour pratiquer des regroupements spirituels ou pour sa musique à Taghit, devenue haut lieu du tourisme au Sahara, désormais.
Bouleversée par sa dernière expérience à Taghit, l’artiste en appelle aujourd’hui aux autorités. «Il faut à tout prix intervenir surtout pendant la fête du nouvel an, des dépassements en tous genres viennent menacer Taghit, ses habitants, et leurs traditions. J’ai pleuré ce premier janvier au matin quand j’ai découvert les vestiges de la soirée du 31. Des dunes de sable recouvertes de sacs plastiques, de bouteilles, et des touristes qui n’hésitent pas à slalomer entre ces déchets avec leurs quads ! Je ne vois pas où est l’expérience du grand désert dans ces conditions. Et, j’espère qu’au vu du succès que rencontre le Sahara en ce moment, les autorités vont se tourner sur le volet écologique et environnemental de la région afin de le préserver.
Mechakra Lilia