Sélectionné pour représenter l’Algérie à l’Oscar du meilleur long métrage international (film non-anglophone) le film « Héliopolis » du réalisateur Djaâfar Gacem a été présenté hier à l’occasion d’une projection spéciale pour la presse organisée par le Centre Algérien du Développement du Cinéma à la salle Ibn Zeydoun à, à l’Office Riad El Feth à Alger.
L’avant-première aura lieu ce soir à 17H00 à l’Opéra d’Alger Boualem Bessaieh. Une fois n’est pas coutume, un film financé par des subsides publics aborde le rôle précurseur de Messali Hadj et de Ferhat Abas, des personnages centraux de l’histoire du mouvement national qui, comme chacun sait, sont très peu en odeur de sainteté dans les couloirs du pouvoir. Ce film se veut une reconstitution des massacres du 8 mai 1945. Sans spoiler l’histoire, l’ordre de manifester censé provenir d’Annaba ne viendra pas. Ni même de Constantine. Mais les manifestations auront lieu.
Les massacres aussi sous le couvert du Sous-préfet, le sinistre André Achiary. Si Mokded, quant à lui, fils de caïd nous rappellera l’histoire de « Arbi, Arbi loukan ykoun el colonel Bendaoud » (Arabe tu resteras Arabe même si tu t’appelles colonel Ben Daoud) qui remonte à la fin du XIXe siècle lorsque le premier « Saint-Cyrien » algérien du nom de Bendaoud avait réussi à franchir les échelons de la hiérarchie militaire pour se retrouver colonel dans l’armée française. Un jour, lors d’une réception où il y avait des personnalités du gouvernement français en visite en Algérie, le Colonel Bendaoud s’est vu refuser le baisemain d’une dame de la haute société française alors que des officiers moins gradés que lui y ont eu droit. La différence est que lui était un « indigène ».
Même sa bravoure et son courage dans les combats au sein de l’armée française, l’attachement qu’il vouait sincèrement à la France qu’il aidait d’ailleurs de son mieux dans son œuvre de colonisation, ne lui auront finalement pas servi à grand-chose. Plus près de nous, tout le monde se rappelle de la façon dont les harkis ont été traités en France, et ce, après avoir donné leur sang et leur vie pour défendre les intérêts français. Djaffer Gacem reprend ce cliché qui n’en est pas un, une légende qui n’en est pas une, une histoire qui a longtemps hanté l’imaginaire algérien pour montrer justement l’évolution de la prise de conscience du fait national à travers plusieurs générations d’Algériens même si dans le cas d’espèce il s’agit des Zenatti, une famille algérienne alliée à la France coloniale. Du grand-père Caïd, impitoyable envers ses congénères et largement décoré au petit-fils, intello et militant de la cause nationale abattu par un peloton d’exécution.
Au milieu, Si Mokded qui connaîtra les pires humiliations et finalement l’errance. Celui-ci, contrairement au Colonel Bendaoud qui a fini par démissionner de l’armée française à cause de l’injustice et des inégalités flagrantes acceptera de se mettre à genoux. Lors du débat en présence du réalisateur et de l’équipe artistique et technique du film, Djaffer Gacem qui dit s’être inspiré de faits réels s’étant déroulé dans cette région de l’extrême-est de l’Algérie n’y voit aucune dissonance ni de fausse note que ses acteurs parlent tantôt algérois tantôt Oranais. Pour se défendre Gacem arguera qu’il s’agit d’une fiction et non pas d’un documentaire. Puis, il convoquera « l’opium et le bâton » (1971) et « Chroniques des années de braise (1975) qui, selon lui, parlent « l’arabe algérien ». C’est pourquoi, il dit n’avoir pas jugé utile de prodiguer sur ce registre de la vraisemblance du parler local un «coaching» spécial pour ses acteurs.
Il faut noter que Si Mokded (à ne pas confondre avec Moh Bab el Oued) est superbement interprété par Aziz Boukerrouni, un acteur qui littéralement crève l’écran et dont votre serviteur lui décerne, d’ores et déjà, et ici même, l’Oscar de la meilleure interprétation. Acculé par la redondance de cette question de la langue ou plutôt de l’accent, Djaffer Gacem finira par se fourvoyer lamentablement en déclarant à la fin que le spectateur étranger n’y verra que du feu. Ne lui en déplaise, l’universalité commence d’abord par l’accent de Guelma, l’ex-Calama. Quoi qu’il en soi, il serait malhonnête de passer sous silence des images époustouflantes du premier long-métrage de Djaffer Gacem. La course de chevaux remportée par notre Bachir national est tout simplement magnifique. Il y a beaucoup d’émotions. Tourné à d’El Mallah dans la wilaya d’Ain Témouchent, la nature est certes beaucoup moins verdoyante que dans la région d’Oued Seybouse et d’Oued Charef mais toute aussi belle.
De toutes façons, les Américains ne feront pas la différence dirait le réalisateur. Par ailleurs, pour des raisons inconnues, le personnage de Nedjma, incarné par l’excellente Souhila Maallem (une actrice pourtant originaire de l’Est) appelle son papa, Si Mokded par un affectueux «ba» typiquement de l’ouest algérien et non pas « Boy » comme on dirait plutôt vers Souk Ahras. Le titre même du film prête à confusion. Héliopolis, un bourg à l’entrée de la ville de Guelma qui porte exactement le même nom qu’une ville antique égyptienne. Héliopolis est surtout connu chez nous pour ses fours à chaux appartenant à un colon Marcel Lavie qui ont été transformés en 1945 en four crématoire pour y brûler les cadavres d’Algériens. Gacem effleurera (ou déflorera) le sujet en montrant à peine une séquence sans autres explications. Ces fours crématoires qui d’une certaine manière ont donné le titre du film ont pourtant bel et bien existés. Ils témoignent à ce jour des atrocités commises par le colonialisme abject. Héliopolis rappelle aussi Persépolis du nom du film d’animation qui a donné lieu à une longue controverse. Il est à parier qu’Héliopolis connaîtra dans l’attente de la remise des Oscars le même sort.
Mohamed-Chérif Lachichi