Saïd Dahmani est un historien attitré, doublé d’un archéologue émérite. Lors du lancement des festivités à l’occasion du mois du Patrimoine, les autorités locales de la wilaya d’Annaba et à leur tête le chef de l’Exécutif, Abdelkader Djellaoui, lui ont rendu un vibrant hommage. En marge de ces festivités, nous avons rencontré ce farouche défenseur du patrimoine historique. Cet ancien conservateur du site et du musée d’Hippone et chef de la Circonscription archéologique de l’Est algérien, de 1971 à 1999 et qui a englobé les wilayas d’Annaba, Skikda, Guelma, Souk-Ahras ainsi que le site antique de Madaure. Dans un franc-parler habituel, Saïd Dahmani a bien voulu accorder un entretien au journal Le Provincial où il a livré son long parcours et son engagement pour la préservation du patrimoine historique
Quel bilan faites-vous pour vous engager à préserver les différents sites historiques ?
«Durant toute ma carrière, j’ai essayé autant que possible de garder et de conserver, en premier lieu, le site d’Hippone et quelques sites qui ont été plus au moins sous ma responsabilité, à savoir la création du musée de Guelma. Mais aussi, autour de cette wilaya, il existe d’autres sites archéologiques, notamment celui de la ville Numide (Sellaoua Announa). J’ai longtemps mené une lutte farouche pour préserver ses sites parce qu’en ce moment les responsables n’ont aucune sensibilité. D’ailleurs, même aujourd’hui, ça n’a pas changé d’un iota. Durant mon bilan, on n’a pas pu faire de fouilles, car c’est un investissement énorme et cela demande un personnel qualifié. Ce n’est plus l’archéologie de “grand-papa” à l’aide d’une pelle, une poche et une brouette. Mais, c’est toute une équipe composée aussi bien de l’archéologue, de l’historien, de l’architecte et du chimiste et bien d’autres spécialités. Une fouille, quelle qu’elle soit, est une série de documents économiques, humains, et d’architectures. Donc, il faut en tirer un maximum».
En parlant de fouilles, M. Dahmani vous avez longtemps appelé à effectuer des fouilles supplémentaires concernant la ville antique d’Hippone. Chose qui n’a pas été faite à ce jour.
«On a voulu reprendre les travaux que les Français ont commencé et qui ont été abandonnés de 1960 à 1963. Reprise pour une petite période où il y’a eu un petit sondage effectué par un archéologue français. Depuis, il a été impossible de reprendre les travaux. J’ai, ensuite, demandé de démarrer des fouilles dans le médiéval ou période islamique dans l’ancienne ville de Buna qu’on appelle, malheureusement aujourd’hui «la Vieille Ville». On a voulu effectuer des fouilles au niveau de la Casbah Hafside qui date de 1300. Malheureusement, on ne nous a pas suivi. La mairie a été incapable d’aider ainsi que le ministère de tutelle».
À votre époque plusieurs personnalités ont visité le musée d’Hippone et l’un d’eux, sur le livre d’or, a noté, je cite : «Récupérer notre passé, c’est aussi une lutte. C’est construire notre avenir plus humain, plus ouvert, plus tolérant et plus créateur»
«C’est un écrit du docteur Sadek Hadjeres, ancien secrétaire général du Parti communiste algérien. Un des rares hommes politiques avec le défunt Hocine Ait Ahmed qui ont visité le musée d’Hippone. Par contre, je noterai le passage de Blaise Compaoré, alors ministre de la justice du Burkina Faso en 1986. Pour l’anecdote, un responsable malien a rendu visite au musée en plein Ramadhan. C’était contraignant parce que la visite a duré jusqu’à l’heure du F’tour».
Nous sommes en plein mois du Patrimoine que vous avez qualifié, dans une boutade populaire, comme la prière des caïds le vendredi et deux aïds «Salt El guyad, Djemaâ Wa aayad»
«La preuve est là. La direction de la Culture organise ces festivités parce qu’elle est obligée de les organiser. Et cette assistance est invitée pour la circonstance. Le seul maire qui a aimé sa ville et qui a voulu faire quelque chose pour le patrimoine, c’est bien Toufik Chekman Allah Yarhmou. C’est le seul, je dis bien le seul. Les autres «hchicha talba miacha». Je suis un peu méchant, mais mon âge me le permet.
Pour les pouvoirs publics, la protection du Patrimoine est-elle une priorité ?
«L’État traite la gestion du patrimoine, de la simple garde d’un site, d’un monument ou d’un musée à garder, de la recherche, de la restauration, de la promotion, du salaire des intervenants, comme n’importe quel autre secteur. Cependant, l’État n’hésite pas à sacrifier une des composantes de ce domaine pour un événement d’un autre domaine. J’ai vécu personnellement l’agissement d’un fonctionnaire chargé du budget qui ne donne aucune importance à une commande d’instruments jugée par lui comme n’ayant aucun rapport avec la recherche, malgré son analphabétisme dans ce domaine ! Je constate même, aujourd’hui, que le département chargé du Patrimoine cherche à louer des espaces au privé sur ces «sanctuaires sacrés de la mémoire».
A.Ighil