Dans un entretien accordé mardi à Le Provincial, Mme Elisabeth Moore Aubin, ambassadeur des États-Unis d’Amérique en Algérie, s’est montrée très satisfaite du niveau des relations entre les deux pays, qu’elle aspire à mieux développer dans un cadre gagnant-gagnant dans le respect des souverainetés nationales. Mme l’ambassadeur, a dit clairement que les deux pays ‘’sont alignés’’ par rapport à la question du Sahara Occidental. Elle a par ailleurs salué, ‘’le coup de maître’’ du Président Tebboune qui a réussi à réunir à Alger, les factions palestiniennes.
Le Provincial : L’Algérie et les USA entretiennent des relations politiquement courtoises mais économiquement peu consistantes. Malgré un code d’investissements attrayant, les opérateurs économiques (hors hydrocarbures) ne se bousculent pas à Alger. Quelles en sont les raisons selon vous ?
Mme Elisabeth Moore Aubin : C’est une question très importante, et vous avez touché là à l’une des choses les plus importantes sur lesquelles je travaille dans le cadre de la relation américano-algérienne et qui consiste à continuer à développer notre relation économique.
Au fait, les États-Unis sont le plus grand investisseur direct étranger en Algérie. En 2020, 28% de tous les investissements directs étrangers provenaient des États-Unis. Nous avons plus de 100 entreprises américaines qui opèrent en Algérie. Seulement 12 d’entre elles opèrent dans le secteur des hydrocarbures. Nous fabriquons toutes sortes de produits ici. Nous travaillons avec des entreprises algériennes dans les domaines de l’informatique, de la santé, de l’industrie… les tracteurs de Massey Ferguson sont fabriqués ici. Le cola est mis en bouteille ici. GE fabrique des turbines ici. Il se passe donc beaucoup de choses dans les relations entre les États-Unis et l’Algérie sur le plan économique et dans les relations entre les entreprises qui travaillent ensemble. Ce que je dis aux entreprises américaines, c’est que cette nouvelle loi sur l’investissement est très positive.
Je pense que c’est une grande prochaine étape pour l’Algérie et la relation économique entre les Etats Unis et l’Algérie. En plus de tout cela, je pense que ce qui est important de transmettre, c’est que le modèle américain est vraiment idéal pour un partenariat gagnant-gagnant. Parce que les entreprises américaines investissent tous les jours en Algérie, elles font du transfert de technologie et de savoir-faire, et elles emploient des Algériens.
Alors, lorsque vous posez la question, où sont toutes les entreprises américaines ? Elles sont ici, dirigées par des Algériens parce que les Algériens sont polyglottes, bien instruits et extrêmement créatifs. Et nous employons des Algériens dans des entreprises américaines en Algérie. C’est donc un secteur très important et c’est celui sur lequel j’essaie de travailler actuellement.
L’Algérie s’apprête à intégrer les BRICS. Dans une telle optique comment les USA accueilleront-ils cette adhésion et quelles seraient, selon vous, les retombées sur les relations bilatérales ?
L’Algérie est un pays souverain, qui peut prendre la décision qu’il veut pour adhérer à l’association de leur choix. Bien sûr, en tant qu’ambassadeur des États-Unis, mon objectif est d’accroître les relations économiques entre les États-Unis et l’Algérie. Donc, à cette fin, j’envisage d’essayer de négocier un vol direct entre l’Algérie et les États-Unis, car cela propulsera notre relation économique bilatérale vers un horizon complètement nouveau. Les frets qui mettent trois à cinq jours pour arriver ici, prendront moins de 24 heures s’il y a un vol direct. Cela changera la nature de la relation commerciale bilatérale. Et donc je travaille sur comment nous pouvons accroître nos relations économiques et nos liens, les liens culturels, les liens entre les deux peuples, la langue anglaise et nos liens économiques.
La question du Sahara Occidental, empoisonne les relations Algéro-marocaines depuis des décennies. Elle déteint sur la scène régionale et même européenne.
A ce sujet, la position US, prolonge un statuquo en ce sens que le flou entretenu depuis l’administration Trump, n’est pas clairement révoqué par son successeur. Ne pensez-vous pas que cela entretient la crise plus qu’il ne contribue à son règlement définitif ?
Cette question est restée sans réponse trop longtemps, et les États-Unis soutiennent pleinement les efforts des Nations Unies pour trouver une solution viable et négociée pour le peuple sahraoui et nous soutenons pleinement les efforts de l’envoyé personnel du Secrétaire Général de l’ONU Staffan De Mistura. L’Algérie a la même politique, elle soutient les efforts de Staffan de Mistura afin de trouver une solution négociée pour le peuple sahraoui. Je pense donc que l’Algérie et les États-Unis sont très alignés sur cette question. Nous coordonnons étroitement, nous discutons de cette question et nous travaillons pour soutenir les efforts des Nations Unies pour résoudre ce problème de longue date qui dure depuis 47 ans.
Vous pensez donc que la décision du président Trump n’engage pas les États-Unis ?
Les États-Unis ont déclaré, depuis 2007, que le plan marocain d’autonomie devait être examiné et c’est donc toujours le point de vue de cette administration. Le Secrétaire d’Etat Blinken a déclaré la semaine dernière que le gouvernement américain, soutenait pleinement les Nations Unies et Staffan de Mistura.
L’invitation du Président Zelensky au sommet de Djeddah, saluée par votre pays, est unanimement considéré comme ‘’un fait du Prince’’, qui ne devait en aucun cas engager La Ligue Arabe. Ne trouvez-vous pas cynique son discours au cours duquel il a occulté l’Etat Palestinien, victime d’une agression coalisée également privative de territoires ?
Vous l’avez souligné à juste titre. Il y a beaucoup de problèmes dans le monde, il y a beaucoup de conflits, il y a beaucoup d’injustices. Bien sûr, le président Zelensky s’inquiète pour l’Ukraine parce que c’est son pays. Oui, il veut que sa souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine restent intactes. Il aimerait que l’agression russe cesse.
Sur la question palestinienne, qui est une question totalement distincte, les États-Unis et l’Algérie ont tous deux plaidé pendant des décennies pour une solution à deux États.
Et en fait, le président Tebboune a beaucoup fait l’année dernière pour rassembler les factions palestiniennes, afin de les unir et qu’il puisse y avoir des négociations pour une solution à deux États. Je salue les efforts du président Tebboune pour la réunification palestinienne. C’est une chose très importante. C’est une question sur laquelle tous les Etats, les États-Unis, d’autres pays, les Algériens, travaillent depuis longtemps.
C’est une question totalement distincte, évidemment de la question russo-ukrainienne qui préoccupe le président Zelensky parce que c’est son pays. Mais je pense que ce sont deux questions très importantes sur lesquelles les États-Unis travaillent et qu’ils traitent, et l’Algérie joue un rôle très important dans la question palestinienne.
Pensez-vous que l’ONU serve encore à quelque chose dans la résolution des conflits à travers le monde. Ses résolutions étant rarement suivies d’effet ?
Encore une fois, il y a tant de problèmes transnationaux, de problèmes de migration, le changement climatique, des problèmes qui affectent tant de pays. Si nous n’avons pas un forum où nous pouvons nous asseoir et discuter de ces problèmes, il y aura davantage de malentendus, et plus de décisions seront prises sans consultations et le monde serait un endroit beaucoup plus triste sans l’interaction que nous avons entre les pays. Les Nations Unies ne sont pas parfaites, absolument pas, cependant, cette possibilité de parler et d’apprendre les uns des autres et même d’être dans la même pièce les uns avec les autres est très importante et je ne l’échangerais pas contre que tout le monde reste dans son coin et essaye de prendre ses propres décisions. Même avec ses défauts l’ONU soutient un objectif très très important dans le monde d’aujourd’hui.
La liberté de la presse en Algérie a été critiquée par le Parlement Européen, qui censure les médias Russes et ignore les assassinats de journalistes palestiniens.
Pareils comportements de deux poids, deux mesures, ne contribuent-ils pas justement, à décrédibiliser toute action des défenseurs de la liberté de la presse ?
La liberté d’expression et la liberté d’association sont des valeurs humaines absolument universelles. Et la politique des États-Unis est que soutenir la liberté d’expression et la liberté de la presse aide à créer des démocraties saines. Et donc, nous devons tous travailler pour créer des sociétés de liberté d’expression et de liberté de la presse. Ces libertés aident, elles aident au développement économique parce qu’elles rendent les pays plus ouverts et plus attractifs pour les investissements directs étrangers, créant ainsi une croissance économique et la richesse collective d’un pays.
Entretien réalisé par Chaouki Mechakra