La pièce théâtrale « Falhit », mise en scène par Youssef Abdi, du théâtre régional de sidi bel abbés, en tournée nationale, a été présentée, mercredi dernier en fin d’après midi, au théâtre régional de Constantine au grand bonheur d’un public nombreux et fin connaisseur.
La pièce produite, quatre mois avant la naissance de la révolution pacifique, conçue par Djeriou Abdelkader et écrite par Ahmed Benkhal, revisite le thème d’actualité d’une société archaïque, attachée à des notions obscurantistes et des croyances occultes. Une société recentrée sur la fois à des forces surnaturelles, qui sont légitimées et entretenues par un régime autoritaire. Ce dernier est à l’origine de toutes perversions et de toutes les dépravations pour contrôler, berner et maintenir la masse en servitude.
Coté scénique, le décor est « caricatural »voire porteur d’une lourde symbolique. Des murs amovibles, agressant la vue et la vie, parsemés d’écrans et de lucarnes, assemblés sur du métal, délimitent le champ de vision et voue l’espace de la scène à une sorte de cloisons de prison. Les costumes, la musique et la langue dialectale de l’Ouest agrémentent l’originalité de cette pièce, tout en mettant en exergue la richesse culturelle de l’Algérie.
Sur la scène, deux générations de comédiens s’alignent en parfaite communion pour libérer un spectacle d’une grande beauté artistique. Ce brassage générationnel, irrigué par le talent de jeunes interprètes, est encadré par la hardiesse de comédiens monuments du 4ème art. Dans cette pièce dramatique, la touche « humoristique et drôlerie » est à profusion.
Le Dictateur et le Charlatan
La trame de fond de la pièce- puisée de la réalité de la société – retrace l’itinéraire d’un fourbe de surcroit inculte, qui prétend guérir toutes les maladies incurables en invoquant les Djinns et les esprits. Ce sont là les fonctions « ambulatoires » de ce charlatan « Moul-Niya », aux habits effilochés et à la parole céleste qui a placé la barre très haute. De fil en aiguille, ce farfelu –incarné avec brio par Ahmed Benkhal– vantant des aptitudes surnaturelles fondées sur le fétichisme et un don Divin, va construire une nébuleuse autour de ses performances imaginaires.
En l’absence de valeurs rationnels et de repères cartésiens au sein d’une société chancelante, l’homme en question, renfloué par le réseau des réseaux et la toile, devient un personnage incontournable. Adulé, vénéré et adoré, il bénéficie d’un aura au près du peuple et des masses brimées.
Mais voilà que Daim ou l’éternel président –interprété par le talentueux Abdellah Djellab– sous l’emprise du général Meftah-incarné par Abdeka Merbouh– va se tourner vers « Moul-Niya », qui avance « qu’aucune maladie ne lui échappe ». Car Daim, tourmenté par la procréation et son infécondité, est pressé à donner la vie. Après avoir remué « ciel et terre », pour guérir, en se référant, dans un premier temps, au médecin –interprété par le grand Mohamed Kadri– qui représente le savoir, les sciences et la compétence.
Mais cette démarche absurde, de Daim -ce potentat imbu de sa personne- faisant appel au charlatanisme, exaspère le médecin. Ce dernier sort de sa réserve en critiquant ouvertement, d’une manière rigoureuse, ce président-Dieu. Petit à petit, la situation dégénère et le médecin va le payer de sa vie. Mais avant de mourir, il va prononcer la légendaire phrase de Tahar Djaout « si tu parles tu meurs et si tu te tais tu meurs, alors parles et meurs ».
C’est ainsi que le charlatan, Profitant du chaos instauré et de la guérison surprise de Daim, va accéder au rang de personnalité nationale. Egalement, il va s’immiscer dans la politique en provoquant des désastres. « Moul-Niya » souffle à Daim des mesures irrationnelles et antipopulaires qui vont provoquer la protesta. Cette dernière est annonciatrice d’un soulèvement populaire indéfini qui se profile à l’horizon.
Le peuple n’est pas content
Le peuple n’est pas joyeux. Le peuple est réduit à plus faible expression. Tout le peuple –incarné avec brio par les jeunes talentueux comédiens Boubakar Benaissa et Ahmed Sahli– est logé à la même enseigne. Dos au mur et les bras levés, les sujets n’ont pas le droit ni de s’exprimer, ni de s’épanouir. Ils subissent les affres d’un pouvoir qui a volé la vie, l’espoir et a réduit au silence la voix de la science et de la modernité. Le contrôle du peuple est total. Il est exercé par le général Meftah qui dispose de la violence légitime. Tous les faits et gestes du peuple sont scrutés minutieusement. La liberté est confisquée et l’éveil collectif du peuple est soumis à des croyances obscurantistes.
La chute de la pièce est ambigüe, laissant le rideau béant, pour dire que l’avenir est ouvert sur les plus folles hypothèses. Le peuple peut-il détruire les murs d’un pouvoir illégitime et de croyances déraisonnables ?
Les applaudissements, les photos souvenirs, l’échange et le partage intense clôturent ce spectacle, du légendaire théâtre de Be labbes, portant l’empreinte du maitre Kateb Yacine dans sa ville natale.
Abdelhamid. Ouchtati