Par : Adam S
Si la fête de Yennayer du nouvel an amazigh, consacrée jour férié, le 12 janvier est diversement célébrée à travers le pays. A El Milia, dans la partie Est de la wilaya de Jijel, cet événement n’est pas simplement une date dans le calendrier berbère. Dans l’esprit des gens, c’est la fête de « Ras El Aam ». Célébrée avec faste au sein des familles qui s’en tiennent à des traditions millénaires, avec des mets spécialement mijotés pour cette date marquante dans l’histoire amazigh, Ras El Aam est la nuit du grand festin familial. Sauf que durant cette nuit, il y avait une invitée peu désirable. Décrite comme une méchante dans le corps d’une vieille femme d’une répugnance extrême, cette invitée qui rentre dans les maisons sans demander la permission n’est autre que la « Fettacha » (contrôleuse) de la région. Elle fait peur aux enfants la nuit fatidique et sa mission consiste à vérifier les ventres pleins des plus boulimiques d’entre eux. Si cette « Fettacha » n’a existé que dans l’esprit de l’imaginaire local pour donner plus de saveur et de consistance à cette fête, elle reste une tranche d’histoire qui tombe dans l’oubli.
La « Fettacha » n’est, en effet, plus de retour. Elle ne sévit plus et ne fait plus peur aux enfants. Son histoire remonte toutefois à ce temps des célébrations spontanées de la fête du nouvel an amazigh avant qu’il ne soit consacré fête nationale. Au mois de janvier, plus précisément à la date du 10, 11 ou le 12, c’était la fête. Toute la communauté se mettait alors à préparer le plat de Ras El Aam. « Rfis » ou « Laftat », qui sont de fines feuilles, préparées à base de semoule et d’huile d’olive sur un ustensile en argile cuite, et sont découpées en petit morceaux et arrosées par une succulente soupe de poulet, ce plat est le festin de l’année. Il réunit toute la famille et tous les membres ont leur part. Chacun en goûte jusqu’à ce qu’il soit rassasié. À leur tour, les enfants ont leur petit plat qu’ils doivent consommer avec modération. Pour leur éviter des indigestions, on leur racontait l’histoire de la « Fettacha » qui viendrait leur rendre visite dans leur sommeil.
De peur d’être éventrés, ils lui laissaient, sur conseil de la mère, une petite part autour du « Canoune » du feu avant de dormir. La « Fettacha » peut, en effet, se contenter de cette part et évite d’aller chercher les enfants dans leur profond sommeil. Si la fête de Ras El Aam n’est plus célébrée avec la même saveur dans la région, les personnes âgées se souviennent de cet événement qui a marqué leur temps. Certains s’en tiennent toutefois à mijoter le plat de Ras El Aam avec l’incontournable coq à égorger pour le met de « Laftat ». Peu de femmes gardent le secret de ce plat, surtout qu’il faut une certaine dextérité pour le préparer comme savaient le faire nos vieilles mères et grand-mères.
La « Fettacha » a, à son tour, disparue. Elle ne sévit plus pour importuner les enfants dans leur sommeil. Elle reste une histoire que certains reprennent pour ironiser sur les choses qui n’ont que peu de chance de se produire. « Tu crois à la Fettacha », dit-on souvent à El Milia pour signifier que le sujet de la discussion n’a pas lieu et ne pourra pas avoir lieu, vu son improbabilité. Ainsi se tourne une page de l’histoire des traditions locales dans les célébrations du nouvel an amazigh, plus connu Ras El Aam dans la région.