Le procureur de la République, près le tribunal d’El-Hadjar a requis jeudi 11 février, une peine de 5 ans de prison ferme, assortie d’une amende d’un million de dinars pour chacun des quatre accusés dans l’affaire Asfertrade SPA. Le verdict sera rendu le jeudi 25 février.
Dans cette affaire, qui traine depuis plus d’une année, et qui a nécessité un procès de plus de 7 heures sans interruption, deux cadres dirigeants d’Asfertrade, une filiale d’Asmidal ainsi que les deux propriétaires de l’entreprise LG-transport, étaient au banc des accusés, suite à une plainte introduite par M. Zakariya Motrani, un homme d’affaires d’Oran, dont l’entreprise avait été écartée d’un marché public avec la société de conditionnement et de distribution des engrais. L’entreprise de M. Motrani avait bénéficié auprès d’Asfertrade, en moins de 5 ans, de contrats pour une valeur globale qui dépasse les 138 milliards de centimes.
Suite à quelques problèmes administratifs, l’entreprise publique a décidé d’exclure l’opérateur économique qui a détenu pendant plus de 4 ans le monopole sur le transport des engrais, pour le compte de cette filiale d’Asmidal.
Le procès s’est tenu sans la présence de M. Motrani, qui était représenté en sa qualité de partie civile par ses deux avocats, dépêchés spécialement d’Oran. Ces derniers ont introduit une plainte contre le PDG et la DRH d’Asfertrade, M. Noureddine Alem ainsi que contre les deux propriétaires de l’entreprise prestataire LG-transport, MM. Djamel Eddine Ghimouz et Chawki Loucif pour « Octroi d’indus avantages dans le cadre des marchés publics », « Abus de fonction dans le cadre des marchés publics », « Non-respect des dispositions et procédures de réalisation de marchés publics », « Conflit d’intérêts » et « Obtention d’indus avantages », en vertu des articles 26 alinéa 2, 32 alinéa 2, 33, 34 et 35 de la loi 06-01 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption.
Procédures et « Irrégularités » … :
Dès le début du procès, vers midi, les quatre avocats de la défense ont soulevé plusieurs « irrégularités » dans la procédure afin de demander un non-lieu, compte tenu que les articles de loi utilisés par le ministère public pour inculper les quatre prévenus étaient destinés à des fonctionnaires publics, or les quatre dirigeants de la société publique et de l’entreprise privée ne relèvent pas de la fonction publique. Le tribunal a préféré poursuivre le procès, malgré les « irrégularités sur la forme » pour juger l’affaire sur le fond.
La société Asfertrade qui a été désignée par la justice comme étant partie civile, au même titre que M. Motrani, était représentée par la chef du département des affaires juridiques de l’entreprise. Cette dernière a affirmé que la société Asfertrade n’avait subi aucun préjudice par rapport à cette affaire. Les avocats de M. Motrani (l’autre partie civile) ont, pour leur part, estimé que leur client a subi d’énormes préjudices, demandant de ce fait que « les droits de leur client soient préservés ». Des « irrégularités » ayant « entaché » les procédures de passation des marchés publics. Pour les avocats oranais, le fait que l’entreprise de M. Motrani ait été disqualifiée « à la faveur » de 9 autres sociétés, dont celle détenue par deux des accusés, est une « injustice » et une forme de « corruption ». Les avocats de la partie civile ont affirmé qu’il y avait là de la « dilapidation du denier public », du « favoritisme », du « trafic », notamment dans l’élaboration d’un cahier des charges « sur mesure ».
« L’exclusion de M. Motrani est une forme de corruption », l’ « octroi d’un marché à M. Ghimouz est une forme de corruption », a affirmé l’un des avocats de M. Motrani, révélant au passage que le cahier des charges avait subi une légère modification après avoir été retiré par leur client.
Plus de 45 milliards d’économies pour Asfertrade
Les avocats de la défense ont, quant à eux, balayé d’un revers de la main les accusations qui pèsent contre leurs clients. Estimant qu’il ne s’agissait que d’une vengeance de la part d’un opérateur économique en colère après avoir perdu un contrat de plusieurs dizaines de milliards. « Quand on voit les sommes faramineuses, que personnellement j’ai du mal à lire tellement il y a de chiffres, qu’a engrangé l’entreprise de M. Motrani, on comprend rapidement les raisons qui l’ont mené à vouloir se venger de nos clients », estime l’un des avocats de la défense.
Pour éviter toute situation de dépendance, la société publique a, dès les changements opérés à sa tête, décidé d’éviter toute situation de dépendance envers un seul et unique opérateur, et ce, en diversifiant les prestataires de service. Une décision qui semble être très judicieuse, quand on voit les résultats. En effet, le bilan de cette filiale d’Asmidal révèle que cette diversification ayant conduit à la fin du monopole a permis à Asfertrade d’économiser en terme de factures de transport, depuis avril 2017 à ce jour, la bagatelle de 45 milliards de centimes. Un résultat jugé probant par le magistrat qui a siégé sur le dossier. Pour le magistrat, tout comme pour les avocats de la défense, les buts, les objectifs et les missions du plaignant et des accusés diffèrent ; l’un est tenu d’engranger le maximum de bénéfices pour son entreprise privée et c’est entièrement son droit, les autres sont tenus de réaliser des performances et de préserver les deniers publics.
Le plaignant au banc des accusés !
Suite à un appel de pré-qualification des futurs transporteurs des engrais pour le compte d’Asfertrade, quinze sociétés ont retiré le cahier des charges, douze d’entre elles ont fini par déposer leurs offres, dont la société de M. Motrani, dénommée Sarl TramZ Ouest. Neuf des douze entreprises ont été sélectionnées pour figurer dans la « short-list » de la société de conditionnement et de distribution des engrais. Sarl TramZ Ouest a tout simplement été écartée suite à une instruction du PDG d’Asfertrade. Cette décision du PDG est motivée par une proposition formulée par sa directrice des ressources humaines qui se base, elle, sur un rapport reçu par la cheffe du département des affaires juridiques. Le rapport en question, qui est le résultat d’une enquête lancée par l’entreprise avec la collaboration du Centre National du Registre du Commerce (CNRC), démontre que M. Motrani a fait une fausse déclaration, ce qui est, d’après le dispositif des procédures de passation de marchés publics, un motif d’exclusion définitive.
En effet, M. Motrani qui était de 2013 à 2017 en situation de quasi-monopole, avec plus de 97% des contrats de transport pour le compte de sa société Sarl TramOuest, a créé une nouvelle entreprise activant dans le transport et avec un nom quasi-similaire « Sarl TramZ Ouest ». Dans un avenant, M. Motrani a affirmé qu’il s’agissait d’un changement de nom de l’entreprise, or, il s’est avéré qu’il s’agissait d’une tentative pour transférer les avantages et les contrats d’une entreprise à une autre. Il aurait ainsi berné Asfertrade pendant plusieurs semaines. Ceci a poussé l’entreprise publique à, en plus de prendre la décision de l’exclure, déposé une plainte auprès du procureur de la République, près le tribunal d’El Hadjar pour « escroquerie », « faux et usage de faux » et « fausse déclaration ». Des faits qui ont conduits à un préjudice de plus de 39 milliards de centimes pour Asfertrade, qui a, par ailleurs, avisé la direction des impôts. Cette dernière a lancé une enquête contre M. Motrani pour évasion fiscale, compte tenu du fait que Sarl TramOuest a continué d’empocher d’importantes sommes d’argent en étant dissoute par acte notarié.
Conflit d’intérêts
Les avocats de la partie civile estiment qu’il y a conflit d’intérêt dès le moment où l’une des 9 entreprises ayant été présélectionnées est une copropriété d’un ex-PDG de Wod Group Somias SPA, dont Asmidal détient 45% du capital. Or, pour les avocats de la défense, il n’y a aucun lien organique entre les deux entreprises qui sont tout à fait indépendantes l’une de l’autre. « Le véritable conflit d’intérêts est que M. Motrani ait créé une autre société +Sart Fert West+ dont les codes d’activités sont exactement les mêmes que ceux d’Asfertrade. Faisant de M. Motrani un concurrent direct de la filiale d’Asmidal. Prenant le problème autrement et inversement. Imaginez que M. Allem n’ait pas pris ces mesures et qu’une commission d’enquête ait été dépêchée. Il aurait été accusé de corruption pour avoir accordé une situation de monopole à M. Motrani qui, par ailleurs, pratiquait des tarifs et des coûts exorbitants en comparaison avec les 9 concurrents retenus », a affirmé l’un des avocats de la défense.
Expertises et contre-expertises
Au total, 3 expertises ont été réalisées à la demande du juge instructeur. La première était en faveur des accusés, la deuxième était en faveur du plaignant et la troisième, la seule que la justice prendra en considération, était en faveur des accusés. Cette expertise estime que M. Motrani a tenté d’introduire une tierce entreprise dans un contrat qui liait Asfertrade à TramOuest, et ce, à travers une déclaration mensongère. Ce qui justifierait son exclusion de la pré-qualification d’Asfertrade. Par ailleurs, M. Motrani n’a introduit aucun recours administratif auprès de la commission des marchés publics de l’entreprise, suite à cette décision, préférant directement saisir les instances judiciaires. M. Motrani a ainsi perdu contre Asfertrade une affaire devant la section référée du tribunal d’Annaba, deux autres devant la section référée du tribunal d’El Hadjar, un procès devant la section commerciale du tribunal d’El Hadjar et un procès en appel à la cour d’Annaba. Après avoir épuisé presque toute ses chances, l’homme d’affaires se tourne vers le pénal pour attaquer les gestionnaires qui sont à l’origine de sa « mise à l’écart ». Allons-nous assister à une sixième défaite du propriétaire de Sarl TramZ Ouest ? Ce sera au juge d’en décider. Le verdict sera rendu jeudi 25 février.
M. A.