Par : Fatima Zohra Bouledroua
Devant une salle comble et un public distingué, la conférence de l’écrivain, romancier et critique littéraire algérien Waciny Laredj, tenue samedi après-midi à la bibliothèque principale Barkat Slimane d’Annaba, sous le thème ” Le roman et l’histoire” a été un grand moment de partage entre l’auteur et ses lecteurs.
Le lancement de la série d’activités dédiée à l’animation culturelle de la saison estivale et la célébration du 60ème anniversaire de l’indépendance, a été donné samedi après-midi par la directrice de la bibliothèque principale Barkat Slimane. Le programme tracé par les différentes institutions et associations
du secteur de la Culture de la wilaya d’Annaba a d’emblée mis la barre trop haut en invitant le romancier Waciny Laredj à Annaba. Le thème choisi par l’auteur n’a pas laissé indifférent ses lecteurs, venus nombreux pour assister à la conférence, où il est revenu sur son histoire personnelle et le rapport qui le liait à la guerre de libération, ainsi que la méthodologie d’écriture du roman historique. Deux points importants qui lèvent le voile sur les circonstances d’écriture du roman historique « Le livre de l’Emir »
Le roman historique, parcours d’une vie !
Waciny est revenu sur son histoire personnelle pour expliquer à l’audience les raisons qui l’ont poussé, d’une manière directe ou indirecte, à aller vers le roman historique. Né en 1954, année du déclenchement de la guerre de libération, il a été nourri par les histoires des moudjahidine. Fils de martyr, il a assisté à l’arrestation de son père. Soldats français, harkis, armes, torture, sont des images indélébiles dans la mémoire de l’homme. Il se considère faisant partie « des enfants des guerres ». Il explique : « Je n’ai pas un rapport culturel avec la guerre de libération, je l’ai dans le sang, c’est mon vécu, ». L’auteur revient sur le rôle de sa maman. Une veuve qui a tout fait pour assurer une bonne éducation pour ses enfants. D’abord élève à l’école française, Waciny Laredj explique que, apprendre la langue arabe n’a pas été simple. Inscrit dans une toute petite école coranique par sa grand-mère, il n’avait que le sacré coran pour s’imprégner de la langue et perfectionner son niveau. D’ailleurs, waciny a restauré par ses propres moyens cette toute petite école coranique, transformée plus tard en mosquée. Il explique à l’audience que la guerre et la langue arabe sont les ingrédients qui ont déterminé son penchant pour le roman historique. « Qu’est que tu vas écrire ? Et de quelle manière tu vas pouvoir le réaliser ? » S’interroge-t-il. Il rajoute « mes émotions et ce que je garde au fond de moi par rapport à mon vécu et mon rapport à la guerre est plus fort que la langue, je ne saurais le transmettre. Je me suis penché alors vers l’écriture du roman historique qui fait ressortir le vécu de la nation algérienne, notre histoire commune ».
Méthodologie d’écriture du roman historique
Portant la casquette de l’académicien, Waciny a expliqué les étapes d’écriture du roman historique.man historique. Les auteurs en général reproduisent, ils puisent dans la matière historique existante et la mettent dans une sorte de « moule » ou « texte » littéraire. Pour cette catégorie d’écrivains, la matière historique est commune, elle existe déjà. C’est l’approche adoptée par le grand écrivain Georgi Zidane par exemple. Or, pour apporter une touche de créativité et embarquer le lecteur dans les détails de l’histoire, l’écrivain, selon Waciny, doit d’abord effectuer des lectures brutes, diverses et contradictoires. Il doit poser plusieurs hypothèses et s’éloigner le plus possible de l’hypothèse unique déjà consommée, dans le but de s’imprégner totalement du fait historique. Le conférencier a donné l’exemple de son fameux « Le livre de l’Emir » qui aura fait couler beaucoup d’encre. Quartes années de rechercheS avant de pouvoir écrire le livre, il devient un des spécialistes de l’Emir Abdelkader. Waciny Laredj affirme avoir puisé dans les livres, thèses, archives en Algérie et en France, une première étape complexe certes, mais passionnante. « L’histoire n’est pas figée et prédéterminée à la consommation, il y a plusieurs lectures de l’histoire » martèle-t-il. Selon lui, l’autonomie de l’auteur est la clé de réussite. La seconde étape étant « l’activation du Moi de l’auteur ». Le romancier ayant fait beaucoup de lecture sur le sujet du roman va procéder à des comparaisons pour faire ressortir des contradictions… Le tout, pour arriver à une « construction ». Ainsi, il est en mesure de passer à la troisième étape, qui consiste en l’intégration de la matière historique construite dans le texte littéraire. « C’est un travail rude. Dans le livre de l’Emir, j’ai dû affronter des hypothèses contradictoires, j’ai fait ressortir ses qualités de leader, son courage et son charisme », note-t-il. Il rajoute : « Le roman historique est une grande responsabilité. L’auteur doit participer au processus d’écriture de l’histoire pour ne pas la laisser qu’aux politiciens, il doit être responsable, car il s’agit de l’histoire d’une nation».
Interaction avec le public
La séance de débat n’a pas été de tout repos pour le romancier. Lecteurs, amis ou fans, tous ont souhaité prendre la parole. Entre témoignages élogieux et questions pertinentes, plusieurs intellectuels sont intervenus. Monsieur Ahmed Cheniki, professeur des universités et chercheur, journaliste et spécialiste dans le théâtre algérien, s’est exprimé sur la diversité du roman historique dans le monde, il a également donné son avis concernant l’œuvre de l’Emir de waciny Laredj, il note : « La lecture de l’Emir est beaucoup plus vraie- si on parle de véracité- que ce que nous appelons la vérité absolue ». « Il a reproduit la vérité historique d’une manière très belle. Pour moi, c’est l’un des plus grands écrivains algériens ». Il est revenu également sur ce qui a été dit sur Rachid Boudjedra lors de la conférence : « Rachid Boudjedra retravaille la matière historique pour produire des textes littéraires à sa manière, je ne pense pas que l’on puisse s’attaquer à quelque écrivain que ce soit, à chacun sa manière de saisir l’histoire dans ses textes ». Monsieur Idriss Boudiba, écrivain, poète et ancien directeur de la culture et des arts de la wilaya d’Annaba a noté « Pour moi, l’Emir était un savant soufi, tolèrent » il rajoute « l’histoire est souvent présente dans les romans de Waciny, ce qui m’amène à dire que monsieur Laredj va au-delà du roman historique, il a une -visions historique- propre à lui ». Tahar Rouainia, Kamel Bounaas, Nadia Nouacer, Mouna Belkhiri, Ouahida Rjimi, Akila Zellagui, Ali khafif, Adel Khrouf, la jeune Zahra Tebbache, et beaucoup d’autres intellectuels sont intervenus pour animer le débat. Ce RDV historique s’ajoute au palmarès de la bibliothèque principale qui, une fois de plus, a contribué à l’épanouissement culturel de son public. Quel succès !